Georges Clemenceau est nommé à la tête du gouvernement français le 16 novembre 1917 par le Président de la République, Raymond Poincarré. Ce dernier s’est résigné à cette décision qu’il avait repoussée jusqu’ici. Après trois années d’une guerre interminable, la France est en plein désarroi. Les mutineries et les grèves se multiplient. Il faut un homme à poigne à la tête du pays, et de la poigne, Clemenceau n’en manque pas… Mais le Président n’aime pas ce personnage fougueux qui n’hésite pas à écrire dans son journal «L’homme enchaîné» des articles à boulets rouges sur les dirigeants politiques et sur la conduite de la guerre.
Mais force lui est de reconnaître l’autorité et surtout la grande popularité de ce fervent défenseur de la patrie. Clemenceau a alors soixante-seize ans et possède une longue expérience de la politique. Le programme politique de celui qu’on surnomme «Le Tigre» est clair : renforcer l’effort de guerre et la mobilisation des français en ces temps extrêmement difficile. Son autorité et sa fermeté vont faire des merveilles. Récit de la vie de cet homme d’état français exceptionnel.
La vie de Georges Clemenceau
Georges Clemenceau est né le 28 septembre 1841 à Mouilleron-en-Pareds, en Vendée. Il est le second d’une famille de six enfants. Sa famille paternelle est d’une très ancienne bourgeoisie protestante. Son père, Benjamin Clemenceau est médecin. C’est, de plus, un républicain convaincu et engagé qui aura une grande influence sur son fils en lui enseignant notamment la chasse, l’équitation et l’escrime et un profond attachement à sa patrie. Sa mère, Sophie, née Gautereau, est issue d’une famille bourgeoise protestante plus modeste. C’est elle qui lui enseignera le latin.
A partir de 1852, Clemenceau est élève au lycée de Nantes où il effectue une scolarité convenable. Il est bachelier ès-lettres en 1858, à la suite de quoi il se place naturellement dans les traces de son père en s’inscrivant à l’école de médecine de Nantes. En 1861, il part poursuivre ses études à Paris, où il s’inscrit également en droit.
Déjà journaliste
Pendant toutes ses années d’études, il participe à la création de nombreuses revues pour lesquelles il écrit plusieurs articles. Il fréquente assidument des cercles républicains dans le quartier latin. Avec le concours de plusieurs amis, il fonde l’hebdomadaire «Le Travail», soutenu par Emile Zola. Le premier numéro sort le 22 décembre 1861. Très vite, le groupe se heurte à la censure. La publication cesse au bout de huit numéros.
Georges Clemenceau obtient son doctorat de médecine en 1865. La même année, suite peut-être à un dépit amoureux ou par goût de l’aventure, il part aux Etats-Unis où il trouve un poste d’enseignant dans un lycée de jeunes filles à Stamford, dans le Connecticut. Il enseigne alors le français et l’équitation. Dans le même temps, il devient le correspondant du journal «Le Temps».
En 1869, il épouse une de ses élèves, Mary Plummer, avec qui il aura trois enfants. Le couple rentre en France la même année. Outre son mariage, son séjour américain lui laissera un goût prononcé pour la philosophie et la littérature anglo-saxonne.
Clemenceau en politique
Georges Clemenceau et la guerre de 1870
En 1870, la guerre éclate contre la Prusse. Clemenceau se rend alors à Paris où il arrive début août. Son père l’introduit auprès d’un fervent républicain, Etienne Arago. Le 2 septembre, c’est la défaite de Sedan. Clémenceau prend une part active à la «Journée du 4 septembre » au cours de laquelle est proclamée la République. Le jour même est formé un gouvernement de la Défense Nationale qui nomme Etienne Arago comme maire de Paris. Ce dernier est à la recherche d’hommes sûrs pour les placer dans les différents arrondissements de la capitale. C’est ainsi que Georges Clemenceau est nommé à la tête du 18° arrondissement, celui de Montmartre.
Le 19 septembre, le siège de Paris commence. Fin octobre, le gouvernement provisoire envoie Adolphe Thiers à Versailles pour négocier un armistice avec Bismarck. La nouvelle fait scandale. Clemenceau s’oppose vivement à ce qu’il appelle sans détour une «trahison». Arago démissionne. Clémenceau l’imite. Le gouvernement organise des élections municipales le 5 novembre. Clemenceau est élu dans le 18° arrondissement. Mais il est ensuite destitué de son poste pour avoir demandé la démission du Général Trochu, alors à la tête du gouvernement de Défense Nationale. Nous sommes alors le 22 janvier 1871. L’armistice est signé six jours plus tard. Le 8 février 1871, Georges Clemenceau refuse l’offre de Gambetta qui souhaite le nommer Préfet du Rhône. Il se présente alors à la députation, sur les listes de l’Union Républicaine. Il entre à la nouvelle Assemblée nationale comme député de la Seine.
Georges Clemenceau et la Commune
On entre alors dans les événements de la Commune. Georges Clemenceau va se retrouver entre le gouvernement de Thiers et la Commune de Paris, tentant sans succès de concilier les deux camps, ce qui lui vaudra finalement l’animosité des deux parties. Les Communards le forcent à démissionner de son poste de maire le 22 mars 1871. Il démissionne de son poste de député la veille de la proclamation de la Commune. Avec d’anciens maires, il fonde la Ligue républicaine des droits de Paris qui tente de négocier avec les deux camps. C’est un échec.
Il part alors pour Bordeaux afin de rejoindre le Congrès des Municipalités, interdit par Thiers. Nouvel échec. Il veut alors revenir à Paris. Mais les suites de l’attaque sanglante des Versaillais l’empêchent d’entrer dans la ville. On le soupçonnera bien-sûr par la suite de connivence avec les Communards. Il ne pourra retourner à Paris que le 15 juin. Les électeurs le feront conseiller municipal le 30 juillet 1871. Il va occuper ce poste jusqu’au 29 novembre 1875, date à laquelle il prend le poste de Président du Conseil Municipal de Paris.
Georges Clemenceau, homme politique national
Le 20 février 1876, Georges Clemenceau devient député de Paris. Ce succès marque le début de son émergence sur la scène nationale. Refusant le cumul des mandats, il démissionne de son poste de président du conseil municipal le 24 avril 1876. Par son verbe fort, incisif et clair, il va très vite s’imposer comme le chef incontestable des républicains radicaux. Mais aussi de l’opposition d’extrême gauche emmenée par Gambetta. Il milite activement pour l’amnistie des Communards, pour la laïcité et, déjà, pour la séparation de l’Eglise et de l’Etat.
Clemenceau n’obtiendra gain de cause pour l’amnistie des Communards qu’après une longue lutte, en 1877. Après que les républicains se soient scindés entre d’une part les radicaux et d’autre part les «opportunistes», au rang desquels on trouve Gambetta, Clemenceau s’en prend férocement à ces derniers. Il leur reproche leur timidité et leur trop grand pragmatisme. Il provoque la démission du ministre de l’Intérieur Marcère et réclame haut et fort l’épuration des cadres de la police hérités du Second Empire. Une position qui consomme sa rupture avec Gambetta.
Des positions tranchées
En 1880, Clemenceau prononce à Marseille un discours qui marque les esprits. Il y prône sans détour la séparation de l’Eglise et de l’Etat, la suppression du Sénat et l’élection des magistrats. Mais aussi la création de l’impôt sur le revenu, la limitation de la durée légale de la journée de travail et la retraite pour les vieux travailleurs. Sans oublier la reconnaissance du droit syndical, l’interdiction du travail pour les moins de 14 ans. Ainsi que la liquidation des grandes compagnies de chemin de fer, des canaux et des mines. Il n’en reste cependant pas moins très critique vis-à-vis du collectivisme et de la socialisation des moyens de production. Bien que siégeant à l’extrême gauche, il incarne donc une voie médiane entre le socialisme naissant et les républicains opportunistes.
Durant ce mandat de député, Georges Clemenceau va s’engager fermement sur de très nombreux sujets. Il s’oppose à la création d’un délit d’outrage au Président de la République, ainsi qu’au délit de diffamation. De plus, il se prononce en faveur de la liberté de réunion. En outre, il vote pour l’élection des magistrats, pour la séparation de l’Eglise et de l’Etat, pour l’instruction laïque. Mais aussi pour la réduction du service militaire à trois ans, pour la fin de l’exemption du service militaire pour les séminaristes. Et encore pour la diminution des revenus des cardinaux, archevêques et évêques. Sans compter la suppression de l’ambassade française au Vatican, le rétablissement du divorce, la liberté d’association, la liberté de la presse, etc…
En 1880, il fonde le journal «La Justice», qui malgré un faible tirage et des difficultés financières collatérales, va bénéficier d’une certaine audience dans les milieux politiques.
Georges Clemenceau, le tombeur de Ministères
En 1881, Clemenceau reprend son siège de député. Sa férocité lui vaut bientôt le surnom de «Tigre» et une réputation non usurpée de «tombeur de ministères». Redoutable orateur, Clemenceau excelle dans l’art de la rhétorique. Il sait à l’occasion faire preuve d’un humour féroce et d’un sarcasme qui fait toujours mouche avec beaucoup d’esprit et d’à propos. Ses adversaires redoutent toujours ses prises de parole à la Chambre.
Il s’en prend violemment à Jules Ferry, son vieux rival, à propos de l’expédition en Tunisie. Ce qui aboutira à une motion contre le gouvernement, en même temps que la droite. Ferry démissionne. Gambetta forme le nouveau gouvernement.
Révision de la Constitution
Deux mois plus tard, en janvier 1882, Georges Clemenceau œuvre activement pour la révision intégrale de la Constitution en faveur de la République. Son action, parmi d’autres, contribue bientôt à la démission du ministère Gambetta, remplacé par le cabinet Freycinet. Le 29 juillet 1882, il incite les députés à s’opposer au vote d’un budget pour une intervention militaire sur le canal de Suez. Freycinet démissionne à son tour.
Février 1883. Jules Ferry forme son deuxième cabinet. Clemenceau reste un farouche contradicteur. Il dénonce toujours la timidité de son adversaire pour mettre en œuvre des réformes républicaines qu’il estime indispensables. D’autant que le mouvement ouvrier et socialiste commence à s’organiser. On conteste de plus en plus son radicalisme à l’ancienne. A l’été 1884, la chambre débat de la révision constitutionnelle. Fidèle à ses idées, Clemenceau est partisan de l’abolition du Sénat et de la suppression de la présidence de la République.
Le 30 mars 1885, la Chambre refuse de voter une rallonge pour les troupes françaises au Tonkin. Clemenceau est à nouveau parmi les contestataires. Le cabinet Ferry tombe à son tour. Les deux adversaires sont de nouveau opposés trois mois plus tard lorsque Ferry défend l’expédition française sur Madagascar. Clémenceau est farouchement opposé au colonialisme. Il préconise plutôt de lutter contre la misère en France et de faire avancer les droits sociaux.
Georges Clemenceau et la période boulangiste
En octobre 1885, les élections législatives voient une poussée importante des monarchistes. Clemenceau est élu à Draguignan, dans le Var. En 1886, il insiste pour que Freycinet nomme le Général Boulanger au ministère de la Guerre. Clemenceau et Boulanger se connaissent, ils ont fréquenté le même lycée à Nantes. A ce moment de leurs parcours politiques, ils ont de nombreux terrains d’entente. Farouchement républicains et résolument patriotes, Clemenceau et Boulanger s’opposent également tous les deux à la colonisation, même si ce sont pour des raisons différentes (Boulanger pense que l’effort colonial détourne le pays de l’effort militaire indispensable contre l’Allemagne).
En 1887, l’affaire Schnæbelé (cf l’article Le suicide du général Boulanger) marque le tout début de la vague Boulangiste qui manque de peu d’emporter la République. Le président Jules Grévy est contraint de démissionner en décembre 1887. Les républicains s’inquiètent de ce mouvement anti parlementariste. Après bien des démêlés, c’est Sadi Carnot qui est finalement élu à la présidence de la République. De son côté, Georges Clemenceau semble dans un premier temps s’appuyer avec prudence sur le Boulangisme pour mettre en avant ses projets d’abolition du Sénat et de la Présidence.
En juillet 1887, il critique néanmoins la grande manifestation boulangiste du 14. Il faudra attendre avril 1888 pour le voir s’opposer frontalement à Boulanger en l’accusant d’être dangereux pour la République. En mai 1888, il fonde la «Société des Droits de l’Homme et du Citoyen», en réunissant plusieurs tendances républicaines contre le mouvement du Général. Pour les élections de 1889, les républicains s’unissent contre la droite et la menace boulangiste. Georges Clemenceau est réélu à Draguignan.
L’acharnement médiatique contre Clemenceau
En 1892, Clemenceau est mis en cause dans l’affaire de corruption du scandale de Panama. La droite, puis les boulangistes se déchaînent. On lui intente un procès. Il est blanchi. Mais le mal est fait. En décembre 1892, le nationaliste Déroulède l’accuse de corruption devant la Chambre et le provoque en duel.
Pour les législatives de 1893, ses adversaires politiques vont largement tenter de le salir appuyant sur le thème de l’homme parvenu et corrompu. Il subit une campagne particulièrement haineuse contre sa personne. Une Ligue anti-clemenciste est fondée, réunissant ses ennemis de gauche comme de droite. La presse est outrancière. En ballotage aux élections, il est finalement battu. Contraint bien malgré lui de se mettre en retrait de la vie politique,Clemenceau se consacre alors presque exclusivement à l’écriture. Il doit d’ailleurs faire face à quelques difficultés financières, notamment à cause de son journal «La Justice», dans lequel il écrit sans discontinuer mais dont les ventes ne suffisent pas à couvrir les frais d’édition.
Dans ses articles souvent écrits au vitriol, Georges Clemenceau s’attache encore et toujours à défendre une profonde réforme sociale, critiquant la misère, le chômage, l’évolution du christianisme, le libéralisme économique et les anarchistes. Comme Jaurès, il s’oppose à la peine de mort, cette «tuerie administrative». Il écrit aussi dans plusieurs autres journaux, et s’essaie même, sans grand succès, au roman et au théâtre.
Georges Clemenceau et l’affaire Dreyfus
Georges Clemenceau va revenir au premier plan de la scène politique avec l’affaire Dreyfus. En 1897, il entre comme rédacteur au journal «L’Aurore». Lorsque l’affaire éclate, il n’est au départ pas convaincu de l’innocence de Dreyfus qui a été condamné au bagne en 1894. Approché par le frère de Dreyfus, il va s’intéresser de plus près au cas du capitaine déchu. C’est l’occasion pour lui de retrouver son vieil ami Scheurer-Kestner alors vice-président du Sénat. Ce dernier a eu vent du témoignage du Lieutenant-Colonel Picquart qui innocente Dreyfus et accable le commandant Esterhazy.
Sans pour autant affirmer l’innocence du capitaine, Clemenceau s’indigne contre le fait que l’on refuse de transmettre ce témoignage à l’avocat de la défense. Sur cette base, il va demander la révision du procès en s’étonnant que l’armée ne soit pas soumise à la justice. Il va également se rendre compte peu à peu du rôle fondamentale de l’antisémitisme latent dans l’affaire.
Le 11 janvier 1898, Esterhazy est acquitté. C’est la crise ouverte pour les dreyfusards. Le 13 janvier, Zola publie à la une de l’Aurore son célèbre article «J’accuse… !» dont le titre à été trouvé par Georges Clemenceau lui-même.
Ecrits sur l’affaire
Très préoccupé par l’affaire, Clemenceau ne se présente pas dans le Var pour les législatives de mai 1898. Ses articles sont quasis quotidiens. Regroupés en sept volumes, ils sont publiés entre 1899 et 1903 avec un certain succès, ce qui lui permet de rembourser presque toutes ses dettes. Malade, il est absent lors du procès en révision de Dreyfus en 1899. Le capitaine est à nouveau condamné, mais avec des circonstances atténuantes, verdict dont Clemenceau raille l’incohérence.
L’affaire Dreyfus connaitra un premier dénouement lorsque le capitaine accepte finalement la grâce signée par le président Émile Loubet le 19 septembre 1899. La réhabilitation (presque) complète de Dreyfus n’interviendra que six ans plus tard, le 12 juillet 1906 lorsque toutes les chambres de la Cour de cassation annuleront définitivement le jugement de 1899 et acteront «l’arrêt de réhabilitation du capitaine Dreyfus».
En décembre 1899, Georges Clémenceau quitte «L’Aurore» pour créer un nouvel hebdomadaire, «Le Bloc» qu’il rédige quasiment seul de A à Z. Le journal paraît jusqu’en mars 1902.
Clemenceau revient en politique
En 1902, une place de sénateur se libère et provoque une élection partielle dans le Var. D’abord réticent – on se souvient de son opposition au Sénat – il se laisse finalement convaincre par ses nombreux amis et soutiens. Il est élu le 6 avril. Aux législatives suivantes, en mai, c’est la victoire du bloc des gauches. Emile Combes forme un nouveau cabinet.
Georges Clemenceau enfourche à nouveau le cheval de la séparation de l’Eglise et de l’Etat et réclame même la suppression pure et simple des congrégations religieuses. En avril 1905, lors des débats sur la loi, Clemenceau s’attaque frontalement à Aristide Briand et Jaurès qu’il juge trop frileux. La Chambre vote finalement la loi sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat le 30 septembre 1906.
Président du Conseil
Auparavant, en mars, les radicaux ont remporté les législatives. Briand conditionne sa participation au gouvernement Sarrien à celle de Georges Clemenceau. C’est ainsi que «Le Tigre» obtient le ministère de l’Intérieur, à une époque très troublée où la France connait une vague de grèves parfois quasi-insurrectionnelles. Face aux divers mouvements parfois extrêmement durs, il fait preuve d’une très grande fermeté. En octobre 1906, Sarrien est malade. Incapable de continuer à assurer la gouvernance, il recommande au président Fallières Clemenceau pour lui succéder.
«Le Tigre» accède donc à la présidence du Conseil le 25 octobre 1906. Il a alors 65 ans. Il crée un nouveau ministère du Travail, et confie au général Picquart, qui avait dévoilé la supercherie accusant Dreyfus, le ministère de la Guerre. Lui-même demeure à l’Intérieur. Il maintient Aristide Briand à l’Instruction publique et aux Cultes.
Un programme ambitieux
Il dévoile son programme de gouvernement le 5 novembre 1906. Celui-ci est vaste. Pas moins de 17 chantiers sont ainsi lancés, de la réforme de l’armée à l’impôt sur le revenu, en passant par la loi sur les 10 heures de travail. Mais le sujet prioritaire reste bien évidemment l’application de la loi de séparation des Églises et de l’État, ce qui crée de fortes tensions avec le Vatican.
Georges Clemenceau est le Président du Conseil le plus à gauche de la IIIème république. Mais il n’en reste pas moins, à la tête de l’Intérieur, «le premier flic de France» et contre les grèves il est d’une redoutable férocité, n’hésitant pas à faire appel à l’armée pour briser les mouvements ou emprisonner les syndicalistes trop virulents.
Il devient rapidement ami avec le préfet de police Lépine, et engage d’importantes réformes dans l’institution policière. Il soutient la création de la police scientifique et des fameuses «Brigades du Tigre» (en fait les «Brigades Régionales Mobiles»). La Sûreté Générale met en place un fichier des récidivistes et crée un service d’archives, tandis que les Brigades régionales fichent les «nomades». La loi du 16 juillet 1912 instaure pour les Tsiganes le port du «carnet anthropométrique d’identité». Celui-ci préfigure la future carte d’identité et le livret de circulation. Très autoritaire à l’Intérieur Georges Clémenceau se brouille durablement avec Jaurès.
« Il faut d’abord savoir ce que l’on veut, il faut ensuite avoir le courage de le dire, il faut ensuite l’énergie de le faire. »
«Pour prendre une décision, il faut être un nombre impair de personnes, et trois c’est déjà trop.»
Intense activité
Le 3 juillet 1908, le gouvernement met à l’ordre du jour de la Chambre l’abolition de la peine de mort. Le projet est refoulé. La loi sur l’impôt sur le revenu est bloquée par le Sénat. Mais Georges Clemenceau va aussi connaître des succès avec la loi sur les habitations bon marché ainsi que la loi sur le bien de famille insaisissable.
A l’Extérieur, malgré son penchant anti-colonialiste, il autorise le recours à la force militaire au Maroc suite à plusieurs émeutes où des français trouvent la mort. Il obtient également un accord avec l’Allemagne dans lequel cette dernière reconnait l’autorité de la France sur ce pays. En Algérie, il se heurte aux Européens en proposant une réforme sur l’élection de conseillers généraux «indigènes».
Le 20 juillet 1909, Georges Clemenceau se refuse à répondre à la Chambre sur des questions d’ordre technique sur la Marine jugeant que ses réponses pourraient l’amener à révéler des informations confidentielles. Il fait voter un ordre du jour qui est repoussé, en partie à cause de l’absence d’un grand nombre de député de gauche. Désavoué, Clemenceau, furieux, doit alors démissionner.
De 1909 à 1912, sa carrière politique connait une période d’accalmie. En 1910, il crée, sans y rester, le «Journal du Var». Au mois de juin, il embarque pour l’Amérique Latine, où une série de conférences l’aide à renflouer ses finances malmenées.
En 1912, Georges Clemenceau subit aussi une opération risquée de la prostate. L’intervention est un succès et il retrouve son poste de Sénateur. Il se brouille avec Poincarré élu à la Présidence avec le soutien de la droite. En mars 1913, il s’oppose au changement du mode de scrutin et, entraînant le Sénat derrière lui, fait chuter le gouvernement Briand.
Clemenceau et la première guerre mondiale
Le 6 mai 1913 paraît le premier numéro de «L’Homme libre», un journal édité à Paris. Clemenceau y publie quotidiennement un éditorial. Convaincu depuis 1912 du danger pour la France de la politique allemande, il n’a de cesse d’avertir à la guerre et défend avec vigueur la loi des trois ans qui augmente la durée du service militaire.
En juillet 1914, la guerre éclate. Dans son journal «l’Union Sacrée», Georges Clemenceau est très loin de l’esprit «fleur au fusil» de l’époque. Ses propos sont véhéments. Il refuse d’entrer dans le gouvernement de Viviani. Ce sera la présidence du Conseil, ou rien. Il dénonce les insuffisances des services sanitaires de l’armée. La censure suspend son journal. Il reparait le 30 septembre sous le titre de «L’homme enchaîné». On le saisit à nouveau. Têtu, Clemenceau le fera à nouveau paraître en octobre. Les autorité le censurent finalement jusqu’en août 1915.
Avec la férocité qui le caractérise, Georges Clemenceau critique violemment l’inefficacité du gouvernement, le défaitisme, l’anti-militarisme et le pacifisme. Il défend avec vigueur le patriotisme et l’«Union sacrée» face aux Allemands. Au Sénat, il préside la Commission de l’Armée et tance vertement les ministères et effectue de fréquentes visites au front. Il siège au sein des comités secrets du Sénat réunis à partir de juin 1916. Alors que la bataille de Verdun fait rage, il refuse de voter la confiance au gouvernement Briand.
Président du Conseil, à nouveau
En juillet 1917, c’est le cabinet Ribot qui chute, remplacé par le gouvernement Painlevé qui ne durera que jusqu’au 13 novembre. Poincarré doit lui trouver un successeur rapidement. Il n’aime pas Georges Clemenceau, mais se résout à le nommer, le 16 novembre 1917, pour sa force morale et ses positions claires en faveur d’une victoire totale, face à Caillaux qui, lui, est partisan d’une paix de compromis avec l’Allemagne.
Clemenceau a 76 ans. Il est à nouveau Président du Conseil. La presse salue sa nomination. Sauf les journaux socialistes. Le 20 novembre, il énonce clairement son programme à la Chambre : «Vaincre…». Soucieux d’encourager l’élan patriotique, il rend hommage aux soldats, ainsi qu’au courage de l’arrière.
Il veut restaurer la confiance. Pour cela, il purge l’administration de fonctionnaires jugés incompétents. Avec énergie, il mate toutes les tentatives de révoltes, de grèves ou de mutineries. Sans états d’âme, il traque les pacifiques, les défaitistes et ceux qu’il appelle « les embusqués ». Lui qui a été si souvent censuré, il fait pression sur la presse favorable à ces mouvements. Il frappe durement « Le Bonnet Rouge » un journal défaitiste financé par les Allemands. Lui, l’anti-colonialiste, généralise l’appel aux troupes coloniales. Par décret, il réglemente «la production, la circulation et la vente» des produits servant à la consommation humaine ou animale. Un point crucial sur lequel le cabinet Briand avait échoué en 1916. Cette réussite lui permet de renforcer l’économie de guerre.
Lutte contre les pacifistes
Le 11 décembre 1917, il s’attaque directement à Joseph Caillaux, accusé de chercher une «paix blanche». Il demande et obtient la levée de son immunité parlementaire. On emprisonne finalement Caillaux en janvier 1918.
Clemenceau pèse de tout son poids pour convaincre les Etats-Unis de faire venir leur troupes en France aux côtés des alliés. Il participe à la Conférence interalliée pour tenter de mettre en place une direction unique des troupes. Sa résolution et son intransigeance sont plus fortes que jamais. Il suscite l’admiration des soldats en visitant les tranchés de première ligne. Couvert d’un simple chapeau, il n’hésite pas à en sortir pour menacer les allemands du poing et les invectiver.
Le 8 mars 1918, il présente à la chambre son programme de gouvernement alors qu’il veut faire voter les crédits de guerre. Son discours restera dans l’Histoire :
«Vous voulez la paix ? Moi aussi. Il serait criminel d’avoir une autre pensée. Mais ce n’est pas en bêlant la paix qu’on fait taire le militarisme prussien. Ma politique étrangère et ma politique intérieure, c’est tout un. Politique intérieure ? Je fais la guerre. Politique étrangère ? Je fais la guerre. Je fais toujours la guerre.»
«Celui qui peut moralement tenir le plus longtemps est le vainqueur : celui qui est vainqueur, c’est celui qui peut, un quart d’heure de plus que l’adversaire, croire qu’il n’est pas vaincu.»
Le choix de Foch
Le 14 mai 1918 il entérine le choix de Foch comme Généralissime des armées alliées. Mais une nouvelle offensive permet aux Allemands d’arriver à soixante kilomètres de Paris. Malgré les critiques, Clemenceau obtient malgré tout la confiance de la Chambre. En juillet, à partir de la bataille de Château-Thierry, le vent commence sérieusement à tourner en faveur des Alliés. En octobre, l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie et la Turquie font une proposition d’armistice. La droite française réclame d’aller jusqu’à Berlin. Mais Clémenceau sait le coût humain de la guerre et préfère mettre fin aux hostilités en signant l’armistice du 11 novembre 1918 pour lequel il obtiendra, avec le soutien de Foch, des clauses accablantes pour l’Allemagne.
On le surnommait «Le Tigre», on l’appelle maintenant le «Père la Victoire». Il entreprend avec Poincarré un voyage triomphal dans l’Alsace et la Lorraine libérées.
Le 21 novembre, l’Académie française l’élit à l’unanimité. Il n’y siègera jamais.
«Donnez-moi quarante trous du cul et je vous fais une Académie Française.»
Il représente naturellement la France au Conseil de la Paix, de janvier à juin 1919. Avec cette férocité qui l’a toujorus caractérisé, il y défend trois points qui lui paraissent essentiels : la réintégration de l’Alsace-Lorraine, les réparations de guerre dues par l’Allemagne et l’assurance de la sécurité sur la frontière franco-allemande.
Georges Clemenceau après la guerre
Le 19 février 1919, il est victime d’un attentat. Car l’anarchiste Émile Cottin lui tire dessus à trois reprises. Mais sans le blesser grièvement. L’attentat déclenche dans la population et dans la presse une ferveur extraordinaire. L’enthousiasme populaire exacerbe les sentiments de l’opinion. On idolâtre Clemenceau. Il reprend ses fonctions seulement six jours plus tard. Il conserve son poste de président du Conseil jusqu’en 1920.
Pour effacer l’humiliation de la proclamation du Reich allemand, il veut signer le traité de paix à Versailles. Les parties le signeront le 28 juin 1919 dans la fameuse Galerie des Glaces. Poussé par une opinion publique exacerbée par la guerre qui exige que l’Allemagne paie pour ses fautes, Clémenceau a été partisan d’une ligne de conduite assez stricte en exigeant des concessions territoriales et le versement de réparations astronomiques.
Durant l’année 1919, il affronte nombre de difficultés politiques mais parvient à se maintenir. Il fait voter la loi des huit heures en avril 1919. La droite l’emporte largement aux législatives de novembre. En janvier 1920, ses amis présentent sa candidature à la présidence de la république. Mais ses adversaires sont nombreux et lui font opposition. C’est Paul Deschanel le remplace le 17 janvier 1920. Le 18, Clémenceau présente la démission de son gouvernement.
«En politique, on succède à des imbéciles et on est remplacé par des incapables.»
La fin de sa vie
A 79 ans, Clemenceau peut désormais se consacrer à de longs voyages. En Egypte, au Soudan, à Ceylan, mais aussi à Colombo, Singapour, Djakarta, Bandoeng, Rangoon, Bombay, ou encore en Angleterre. En février 1922, il relance un journal : «L’Écho national». Fin 1922, il se rend aux Etats-Unis pour une tournée de conférences. De retour en France, il se penche sur la rédaction de plusieurs ouvrages, dont «Au soir de la pensée», un livre de réflexion et de philosophie qui sera sa principale tâche.
Le 21 novembre 1929, à 88 ans, une crise d’urémie le frappe brusquement. Il en meurt trois jours plus tard, le 24 novembre 1929, à son domicile de la rue Franklin à Paris.
Conformément à ses volontés, ses obsèques sont extrêmement simples. Dans son cerceuil, un livre offert jadis par sa mère, «Le mariage de Figaro», une canne à pommeau de fer offerte par son père, et surtout deux bouquets de fleurs que lui avaient offert deux soldats dans les tranchées de première ligne en Champagne en 1918.
« Pour mes obsèques, je ne veux que le strict minimum, c’est-à-dire moi. »