La bataille de Marengo
La bataille de Marengo, le 14 juin 1800, est exceptionnelle à bien des égards. Menée par Bonaparte Premier Consul, elle pose en fait les fondements du futur régime impérial napoléonien. Récit d’une bataille épique et au déroulé hors du commun.
Le contexte de la bataille de Marengo
« Citoyens, la Révolution est fixée aux principes qui l’ont commencée. Elle est finie. »
C’est par cette phrase que Bonaparte conclut sa prestation de serment en tant que Premier Consul devant les Conseils des Anciens et des Cinq Cents après le coup d’état du 18 Brumaire. Une déclaration lourde de sens qui montre bien la volonté du nouveau régime consulaire d’en terminer une bonne fois pour toute avec les désordres révolutionnaires. Pour autant, la situation du nouveau régime est fragile. Certes, Bonaparte s’est fait nommer 1er Consul et s’il partage officiellement le pouvoir avec les deux autres, Sieyès et Ducos, en pratique c’est bien lui qui entend gouverner seul et avec fermeté.
Mais sur le plan économique, il a devant lui un énorme chantier de redressement du pays rendu exsangue par dix années de troubles, de guerres, et de gouvernements aussi incapables que corrompus. Sur le plan politique, ses ennemis sont nombreux. Dans l’ouest, la troisième guerre de Vendée s’éteint à partir de janvier 1800, mais les royalistes restent très hostiles au « Corse usurpateur », tout comme les Jacobins qui ne cachent pas leur hostilité à son coup d’état.
La paix intérieure, condition sine qua non
Bonaparte fait surveiller tous les opposants et museler la presse par le redoutable Ministre de la Police, Fouché, et s’appuie sur le talentueux mais déjà ambigu Talleyrand pour les relations diplomatiques. Car pour réussir le redressement intérieur, il a absolument besoin de la paix extérieure avec les puissances ennemies. Or, depuis 1798, une deuxième coalition est en guerre contre la France, avec notamment la Russie, l’Autriche et la Grande-Bretagne. Par bonheur, Masséna est parvenu à infliger une très lourde défaite aux Russes à la bataille de Zurich, le 26 septembre 1799. Ecœurée, en désaccord avec ses alliés autrichiens, la Russie jette l’éponge et se retire de la Coalition. Mais l’Autriche ne désarme pas. Largement soutenue par l’or et la flotte britannique, elle se fait fort de poursuivre la lutte et d’en tirer une large victoire.
Les offres de négociations de Bonaparte restent lettres mortes. Pour obtenir la paix, il n’a pas d’autre choix que de mener la guerre et, si possible, de la gagner rapidement. L’affaire est risquée. Une défaite fragiliserait encore sa position au pouvoir et pourrait même causer la chute du régime consulaire. L’Autriche dispose d’une armée nombreuse et bien équipée. En Allemagne, le général Kray s’est solidement implanté avec plus de 120.000 hommes. Il peut de menacer directement les frontières françaises.
C’est le prestigieux Général Moreau qui les défend face à lui. Avec un nombre équivalent de soldats. En Italie, Le vieux général autrichien Mélas est parvenu à reprendre tout le Piémont, réduisant à néant tous les succès de Bonaparte lors de sa fulgurante campagne de 1796/1797. Début avril 1800, l’armée française d’Italie est coupée en deux. Suchet a du se replier en Provence derrière le Var, et Masséna se retrouve assiégé dans Gênes où il ne dispose que de maigres réserves. Pour Bonaparte, il y a urgence…
C’est dans ce contexte géopolitique tendu que va se dérouler la bataille de Marengo.
Premier plan de Bonaparte
La première intention de Bonaparte est de profiter de la défection russe pour lancer une partie de l’armée de Moreau par la Suisse, tourner les arrières de Kray, le détruire et s’ouvrir ainsi la route de Vienne. Mais Moreau profite de sa position et de son prestige pour tergiverser. Méthodique, peut-être trop prudent, il n’aime pas Bonaparte qui le lui rend bien et sait qu’il ne peut pas l’évincer. Moreau préfère une configuration plus sûre à ce plan du Premier Consul qu’il juge trop hasardeux. En fait, les deux hommes ont raison sans le savoir.
Les Autrichiens sont bien en droit d’attendre une offensive sur le Rhin car c’est là que se trouve le gros des moyens français. Mais leur intention est en fait d’attendre que Mélas en termine avec Masséna puis d’entrer en France par les Alpes maritimes afin de faire jonction avec un corps expéditionnaire britannique en attente à Minorque. Cette invasion forcerait les Français détacher des troupes du Rhin, ce qui favoriserait alors une offensive d’invasion de Kray. De fait, si une attaque française unique partait du Rhin, elle risquerait de se heurter à un Kray bien préparé. Pour autant, le véritable danger guette bien sournoisement en Italie.
Second plan de Bonaparte
Le refus de Moreau force donc Bonaparte à changer ses plans. Il ordonne le rassemblement d’une nouvelle armée dans la région de Dijon où stationnent déjà depuis janvier quelques unités de réserve. Il fait croire aux Autrichiens que ce n’est qu’une petite armée de renfort destinée à Moreau. En réalité, les troupes qu’il réunit sont de très bonne qualité, en nombre restreint mais suffisamment conséquent et commandées par des officiers expérimentés. L’idée de Bonaparte est audacieuse. Il s’agit de franchir les Alpes et de redescendre rapidement sur Milan, afin de coincer Mélas entre lui et Masséna. Dans le même temps, Moreau doit attaquer vers le Tyrol pour faire croire à une grande offensive vers Vienne mais en fait pour couper Kray de l’Italie et y détacher ensuite des troupes de renfort pour soutenir Bonaparte.
Moreau se décide enfin
Moreau, pressé par Bonaparte depuis Paris, attend malgré tout la fin du mois d’avril pour agir. Puis il passe enfin à l’offensive. Le 3 mai, il bat Kray à Stockach, puis à nouveau le 6 mai à Moskirch. Contraint et forcé, le général autrichien décide alors de se refugier dans Ulm. Bonaparte a désormais ses arrières assurés. Un peu avant la mi-mai, il rejoint l’armée de réserve dont les 55.000 hommes sont déjà en mouvement. La constitution interdit à un Consul de prendre le commandement d’une armée. Alors officiellement, il n’est là qu’en conseiller. Personne n’est dupe. C’est bien le général Bonaparte qui prend les rênes de l’armée.
Mais au moins les apparences sont-elles sauves. Il prévoit de franchir les Alpes par cinq cols différents pour mieux tromper une éventuelle surveillance de Mélas. La route la plus facile est celle du col du Petit-Saint-Bernard. Mais elle nécessiterait plus de temps et une logistique plus importante. Bonaparte choisit donc de faire passer le gros de ses troupes par le col du Grand-Saint-Bernard. Il est plus proche du lac de Genève. où il a établi des magasins d’approvisionnement.
Le col du Grand-Saint-Bernard
Le 14 mai, Bonaparte met en marche le général Lannes avec l’avant-garde. Il décide d’envoyer de petits détachements par les quatre points de passage envisagés. Peu après Lannes, le gros des troupes entame l’ascension du Grand-Saint-Bernard. Elle se révèle extrême. La piste est encore enneigée et gelée par endroit. Il faut démonter l’artillerie pour mettre les roues sur les bêtes de somme, tandis que les hommes tirent péniblement les canons et les affûts à la main, sur des traîneaux. Le peintre David immortalisera un Bonaparte grimpant le col en conquérant sur un cheval fougueux. En réalité c’est sur le dos d’une mule, jugée plus sûre, qu’il effectue le chemin.
Lorsqu’après des heures d’efforts inouïs les hommes parviennent enfin au sommet, ils passent devant un hospice où des moines leur distribuent du fromage, du pain et du vin. La redescente vers la vallée du Pô n’est pas moins difficile. Enfin, le 23 mai, toute l’armée est passée et débouche dans la plaine par Aoste. Mais le Fort de Bard, tenu par les autrichiens, barre le chemin. Bonaparte décide de passer en force. En laissant le soin à un détachement restreint de prendre le fort ultérieurement. Mais le prix est lourd. Pour assurer le siège de la forteresse, il doit laisser sur place quasiment toute son artillerie et ne garde que six petits canons.
Course contre le temps
Le temps presse. Arrivé de Paris, un messager informe Bonaparte que son siège de Premier Consul est sérieusement menacé par des complots persistants. Depuis Gênes, les rares nouvelles sont plus qu’alarmantes. Le typhus fait des ravages chez les assiégés qui, après avoir même mangé leurs chevaux, n’ont plus de ressources. Mais Bonaparte ne se précipite pas pour dégager Masséna. Ce serait se découvrir et risquer de prêter le flanc aux Autrichiens. Au lieu de cela, il fonce sur Milan.
La prise de Milan
Le 2 juin 1800, il entre dans la ville où il met la main sur un arsenal autrichien important. Il s’assure rapidement de toute la ligne du Pô et coupe Mélas de ses lignes de communications. Il est bientôt rejoint par les troupes envoyées par Moreau. Déception. Au lieu d’un corps d’armée complet, celui-ci ne lui a dépêché qu’une modeste division d’un peu plus de 10 000 hommes. Entretemps, la terrible nouvelle tombe : le 4 juin, à bout de forces, Masséna a du capituler. Le plan de Bonaparte pour prendre Mélas en tenaille tombe à l’eau.
Mais pour le vieux général autrichien, l’arrivée de Bonaparte à Milan est stupéfiante. Faire franchir les Alpes par ce chemin à toute une armée est un exploit incroyable que seul le grand général carthaginois Hannibal avait réussi en son temps. Finie la poussée irrésistible vers le sud de la France. Désormais, l’autrichien est directement menacé. Après avoir reçu la reddition de Masséna, il sonne le rassemblement général de ses troupes à mi-chemin entre Turin et Gênes, dans la région d’Alexandrie. De là, il peut tenter de dégager ses communications. Si les choses tournent mal, il peut revenir s’enfermer dans Gênes où la flotte anglaise peut venir le ravitailler.
Les combats de Montebello
Dans le même temps, Bonaparte a fait route au sud-est depuis Milan vers Pavie et Plaisance. Apprenant le regroupement autrichien, il bifurque vers l’ouest et Alexandrie. Son but est d’accrocher les forces de Mélas le plus vite possible et d’en finir une bonne fois pour toute. Le 9 juin, Lannes, toujours à l’avant-garde, marche à l’ouest vers Voghera. Il ignore qu’en sens inverse, Mélas a envoyé ses généraux Ott et O’Reilly vers Plaisance pour dégager la route vers Vienne. Le choc a lieu aux alentours du village de Montebello.
Les Autrichiens sont très bien répartis sur les reliefs et disposent d’une nombreuse artillerie. Mais Lannes est un officier hors-normes. Avec un sang-froid incroyable, il manœuvre avec détermination et un grand sens stratégique. Bien secondé par des officiers compétents et des troupes courageuses, il tient la dragée haute aux Autrichiens pourtant très supérieurs en nombre. En fin d’après-midi, après onze heures de combats acharnés, l’arrivée de Bonaparte finit de forcer les Autrichiens à la retraite. La victoire de Lannes est extraordinaire de courage, de sens stratégique et d’abnégation. Elle lui vaudra, quelques années plus tard, le titre de Duc de Montebello. Mais malgré tout, elle n’a rien de décisif. Ott et O’Reilly ont réussi à se retirer relativement en bon ordre et le gros des troupes de Mélas reste introuvable.
Marengo
Bonaparte poursuit vers l’ouest et Alexandrie. Il a alors près de 32.000 hommes et une quarantaine de canons. Mais pour trouver les Autrichiens le plus vite possible, il décide de séparer ses forces. Le général La Poype doit reconnaître vers le nord à partir de Voghera, tandis que le général Desaix doit éclairer le sud vers Novi. Bonaparte continue vers l’ouest, avec près de 24 000 hommes et une vingtaine de canons. Le 13 juin au soir, il s’arrête à l’est de la rivière Bormida, dans une vaste plaine près du petit village de Marengo.
Ce qu’il ignore, c’est que les Autrichiens ont repéré certaines de ses unités. Un nombre suffisant en tout cas pour que Mélas, car c’est bien lui qui se trouve avec près de 31. 000 hommes de l’autre côté de la Bormida, fasse approcher discrètement ses troupes à quelques centaines de mètres de la rivière où il les fait bivouaquer sans feu et en silence. Chose extraordinaire, Bonaparte néglige de reconnaître le terrain plus avant, laissant notamment sans surveillance deux ponts stratégiques. Le lendemain matin, le réveil des Français va être difficile…
La bataille de Marengo
Le 14 juin 1800, à l’aube, Mélas passe à l’attaque. Il ne sait pas que c’est Bonaparte qui est en face de lui, pas plus qu’il ne sait que celui-ci ne dispose pas de toutes ses forces. Mais il est bien décidé à profiter de l’occasion pour tenter de percer les troupes françaises et se libérer le passage vers Vienne. Il a avec lui près de 31 000 hommes et 180 canons, et si cela ne suffisait pas, il se replierait sur Gênes comme prévu.
La bataille de Marengo est engagée. Les avant-postes français sont rapidement débordés et vers 8h les forces autrichiennes franchissent les deux ponts pour commencer à se déployer dans la plaine en bon ordre de bataille. Côté français, c’est la surprise totale. A huit kilomètres à l’est de Marengo, Bonaparte attend toujours des renseignements sur la position de Mélas. Lorsqu’il entend les premiers coups de canon, il comprend qu’un problème sérieux vient de lui tomber sur la figure. Il donne rapidement les ordres de rassemblement et de disposition et se rapproche du champ de bataille où ses troupes se mettent difficilement en ordre.
Débuts difficiles pour les français
Dès le début de la bataille de Marengo, l’artillerie autrichienne parvient très rapidement à mettre hors d’état de nuire quasiment tous les canons français avant de couvrir la progression de ses lignes de fantassins. Courageusement, les français font face, malgré les boulets qui font des trouées sanglantes dans leurs rangs. Pendant toute la matinée, les lignes ennemies se fusillent mutuellement à une vingtaine de pas. Au centre, la division du général Gardanne est rejetée sur Marengo. Elle est soutenue de justesse par le général Victor qui lui envoie des renforts et par Lannes qui se démène comme un beau diable. Marengo tient. Mais pour combien de temps ?
En fin de matinée, la bataille de Marengo est complètement à l’avantage des autrichiens. Bonaparte comprend que la situation est vraiment critique. En toute hâte, il envoie un messager vers La Poype pour le rappeler et griffonne également un message à l’attention de Desaix dont le ton témoigne bien de sa grande inquiétude :
« je croyais attaquer l’ennemi, c’est lui qui me prévient, revenez au nom de Dieu si vous le pouvez encore »
Les Autrichiens au bord de la victoire
Vers la mi-journée, Mélas prend le temps de réorganiser son artillerie. La relative accalmie est de courte durée. Les combats reprennent vite, avec une violence redoublée. On se bat sur un front de près de six kilomètres de long. Juché au sommet d’un clocher, Bonaparte voit son armée de plus en plus malmenée.
Vers 14h, le général Ott, à la gauche autrichienne, menace très sérieusement d’enfoncer toute la droite française. L’artillerie autrichienne fait des ravages et la cavalerie française ne parvient pas à protéger efficacement son infanterie. La droite française ne tient plus que par l’abnégation des soldats de Monnier qui se trouvent forcés reculer. Au prix d’un courage inouï ses hommes parviennent à entamer leur retraite en bon ordre. En apercevant le mouvement de retrait de Monnier à leur droite, Lannes et Victor sont contraints eux aussi de commencer à reculer. Mais là encore ils parviennent à éviter la débandade. Les français sont lentement repoussés de plus de cinq kilomètres, mais sans jamais céder, malgré les dizaines de morts et de blessés qu’ils laissent derrière eux sur la plaine dévastée.
Vers le milieu de l’après-midi, la cause semble définitivement entendue. La bataille de Marengo risque de se transformer en une défaite écrasante. Bonaparte ordonne le regroupement autour du village de San Giuliano. Au milieu de ses hommes, il crie, donne des ordres, encourage, maintient comme il peut la cohésion. Il fait donner la Garde Consulaire. Les 900 soldats d’élite se mettent en position sur un surplomb du terrain où ils forment une sorte de redoute vivante qui parvient à freiner les autrichiens.
Retraite française
La cavalerie, elle aussi, s’interpose bravement pour éviter que la panique ne transforme la difficile retraite en une déroute totale. Mais le nombre des autrichiens, et surtout leur artillerie meurtrière, sont comme un rouleau compresseur impitoyable. Mélas exulte. A 15h, légèrement blessé après avoir perdu deux chevaux sous lui, il décide de quitter le champ de bataille pour rejoindre Alexandrie et envoyer un courrier de victoire à Vienne. Tout à son succès, il confie le soin de poursuivre et d’achever les français au général Zach, son chef d’état-major.
Vers 16h, les Autrichiens sont désormais sûrs de leur victoire totale. Zach a réorganisé ses troupes pour une marche en avant décisive sur San Guliano d’où Bonaparte espère encore pouvoir se retirer en évitant la débandade et en sauvant son armée d’un désastre complet.
Bonaparte au bord de la catastrophe
Zach emmène 5 000 fantassins autrichiens qui forment une grande colonne et avancent tranquillement au centre de la plaine, flanqués par leur cavalerie et suivis par de l’artillerie qui doit se repositionner plus en avant pour achever ses pilonnages si meurtriers.
Derrière eux, les généraux Kaim et Bellegarde avec encore de l’infanterie. A gauche, Ott ne reçoit pas d’ordre mais décide d’en finir avec les restes de la division Monnier et de la Garde Consulaire qui résistent encore au village de Villanova. A droite, O’Reilly se prépare à entamer une marche vers le sud-est pour couper une éventuelle retraite française dans cette direction. Vers 17h, tout est consommé. Bonaparte ordonne la retraite définitive avant que Zach ne puisse se redéployer et l’achever.
C’est alors que, pour les français, le miracle se produit…
Desaix, le miracle de la bataille de Marengo
Vers le sud, on voit apparaître les nuages de poussière d’une forte colonne en marche. Bientôt, c’est une certitude : c’est Desaix qui arrive ! Incroyable ! A-t-il reçu le message de Bonaparte à temps ? A-t-il fait demi-tour avant, de sa propre initiative, en marchant au son du canon ? Personne ne le sait. Mais il est bien là, avec près de 6 000 hommes frais et prêts à en découdre. Il apostrophe Bonaparte :
« Général, j’arrive ! Nous sommes frais et s’il le faut nous nous ferons tuer. »
« Il faut du canon, un bon feu de canon. »
Immédiatement, Bonaparte et ses généraux tiennent un conseil de guerre. Il faut faire très vite. Les Autrichiens approchent. A ce moment précis, les Français peuvent faire le choix de profiter des troupes fraîches de Desaix pour sauver leur retraite et se retirer en bon ordre. Mais non. Ils vont préférer laisser parler leur sang-froid et leur expérience. La bataille de Marengo va se jouer en réalité pendant ces quelques instants décisifs où l’état-major français va faire preuve d’une incroyable clairvoyance compte tenu de la situation dramatique dans laquelle se trouve l’armée française. Tous ces officiers supérieurs sont des vétérans qui ont un sens tactique aiguisé. Ils ont vu la formation en colonne de Zach et entrevoient la possibilité de frapper un grand coup. Le plan de la contre-attaque est arrêté.
Les français ne perdent pas une seconde. Ils rallient près de 700 cavaliers de plusieurs escadrons décimés et les placent aux ordres de Kellerman. A droite, on place les fantassins épuisés des divisions Monnier et Watrin, avec quelques cavaliers en soutien. Au centre et un peu à gauche, Desaix et sa division. Un peu plus à droite, Lannes et Victor avec ce qui leur reste de troupes en état de se battre. « Il faut du canon, dit Desaix, un bon feu de canon ». Ce n’est pas l’artilleur Bonaparte qui va le contredire.
On réunit à la hâte les huit canons de Desaix, cinq autres qui ont échappé au massacre de la journée, plus cinq pris aux Autrichiens. On forme ainsi une petite batterie qui est placée en face de la colonne autrichienne, aux ordres de Marmont qui la masque judicieusement avec une ligne de fantassins. Les français ne comptent plus en tout qu’une dizaine de milliers d’hommes en état de se battre mais qui sont prêt à faire front avec détermination. Bonaparte les encourage avec la manière qui est la sienne : « Soldats c’est assez de reculer ! Marchons en avant ! Vous savez que je couche sur le champ de bataille ! ». La bataille de Marengo est sur le point de basculer.
La contre-attaque
Lorsque les Autrichiens arrivent à portée des Français, ils commencent lentement à se reformer en ligne. Sans attendre, Marmont dévoile ses canons et ouvre un feu terrible à mitraille. A bout portant, tout l’avant de la colonne autrichienne est littéralement pris en enfilade. Desaix ordonne immédiatement l’assaut. Ses hommes se ruent en avant en hurlant. Dans le même temps, Kellermann et ses cavaliers se lancent dans une charge folle qui prend les Autrichiens de flanc et les coupe en deux. Une fois, deux fois, trois fois, Kellermann ramène ses hommes à la charge. Ils sabrent sans pitié, pendant que leur maigre artillerie se déchaîne. La contre-attaque française est fulgurante. La colonne autrichienne est encerclée, laminée puis dispersée.
Les français font de très nombreux prisonniers, dont le général Zach lui-même. La panique s’empare de l’arrière de la colonne autrichienne. Les soldats refluent en désordre, déclenchant une véritable débandade dans toutes les unités qui suivent. Tout le centre autrichien craque et se désagrège.
La déroute autrichienne
Ott et O’Reilly assistent impuissants à cet incroyable effondrement et n’ont d’autre choix que d’entamer une retraite précipitée. En une poignée d’heures, la déroute autrichienne est totale. En fin d’après-midi, les Français s’apprêtaient à ravaler amèrement leur défaite. A la nuit tombée, Mélas se retrouve en face d’un véritable désastre. Les lambeaux de son armée ont repassé la Bormida, talonnés par des français déchaînés qui s’arrêtent finalement à bout de forces et de munitions.
Comme ses hommes Bonaparte est épuisé. Et affamé. Son cuisinier Dunan est chargé de faire un repas en toute hâte. Le général aime le poulet ? Ce sera un poulet ! Pas le temps de le rôtir convenablement. Dunan le fait sauter dans de l’huile d’olive et rajoute ce qui lui tombe sous le couteau : des tomates, quelques champignons, des oignons, de l’ail, des échalottes, du sel , du poivre, du persil… Bonaparte adore. Le poulet Marengo est né.
A 23h, La Poype rallie enfin le gros de l’armée. Plus avancé que Desaix, il n’a pas pu revenir à temps pour participer à la bataille. Qu’importe. La bataille de Marengo est gagnée. In extremis. Après avoir frôlé la catastrophe irréparable, Bonaparte tient une victoire éclatante.
La victoire
Les Autrichiens ont perdu près de 10 000 hommes, tués ou blessés. Bonaparte accuse quant à lui la perte de près de 6 000 soldats. On l’a oublié, mais la bataille de Marengo fut bien une véritable boucherie. Le lendemain même, effrayé par l’ampleur de sa défaite, Mélas demande une suspension des hostilités. Elle est signée à Alexandrie. Bonaparte impose ses conditions. Les Autrichiens doivent rendre Gênes et évacuer le Piémont, la Ligurie et la Lombardie. La République Cisalpine, si chère à Bonaparte est rétablie.
Le Premier Consul va tirer un avantage politique énorme de sa victoire inespérée à la bataille de Marengo. Son prestige en sort renforcé au-delà de toutes ses espérances, plus encore qu’au temps de la première campagne d’Italie ou à son retour d’Egypte. Le 2 juillet, il rentre à Paris. Son triomphe est total. Plus qu’un chef de guerre, il est maintenant un vrai chef d’Etat dont la position est fermement assise. Assuré d’un formidable soutien populaire, il va pouvoir poursuivre ses réformes ambitieuses tout en matant sans vergogne ses opposants.
L’Histoire continue
Le 3 décembre 1800, Moreau réussit à battre les Autrichiens en Allemagne à la bataille d’Hohenlinden. Une très belle victoire, mais que Bonaparte fera soigneusement éclipser par l’éclat encore brillant de Marengo. Pourtant, c’est bien Hohenlinden qui est la défaite de trop pour l’Autriche qui décide déposer les armes et d’abandonner. Le 9 février 1801, l’Autriche et la France signe la paix de Lunéville. La Deuxième Coalition a vécu. L’Angleterre est maintenant seule en guerre contre la France. A bien des égards, la bataille de Marengo et une victoire qui pose les fondements du régime napoléonien. Pour les historiens spécialistes de Napoléon, notamment Jean Tulard, la bataille de Marengo peut même être considérée comme l’acte fondateur du Premier Empire.
Mais Bonaparte n’y a pas tout gagné. Car dès le début de la formidable contre-attaque qui a marqué le renversement de la bataille, le général Desaix est tombé. Touché par une balle en pleine poitrine, le fidèle compagnon de la campagne d’Egypte n’a pas survécu.
Desaix, le héros de la bataille de Marengo n’aura jamais vu la victoire…