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Déjà au XIVème siècle, sous le règne de Philippe le Bel, le sordide déballage d’une affaire d’adultère fait trembler les hautes sphères du pouvoir français : le scandale de la tour de Nesle. Affaire de mœurs, affaire d’état… Déjà…

Le scandale de la Tour de Nesle : le contexte

Le Roi de France Philippe IV le Bel accède au trône en 1285. Il est le onzième roi de la dynastie des Capétiens directs. Il épouse Jeanne de Navarre dont il a quatre enfants : trois fils, et une fille.

Ses fils sont le futur Louis X le Hutin, le futur Philippe V le Long et le futur Charles IV le Bel. Sa fille est Isabelle de France. Elle épouse le Roi Edouard II d’Angleterre. Louis se marie avec Marguerite de Bourgogne en 1305. Philippe et Charles épousent quant à eux, en 1307 et 1308, les cousines de Marguerite, les sœurs Jeanne et Blanche de Bourgogne, filles de Mahaut d’Artois. Voilà très rapidement posé le contexte…

Les trois princesses et belles-sœurs s’entendent très bien entre elles. Elles sont jeunes, enthousiastes, plutôt jolies et très coquettes, peut-être un brin arrogantes et irrévérencieuses… Très vite, leur complicité apporte un air de fraîcheur et de gaieté dont l’austère cour du roi n’a pas l’habitude. Ce qui finit par déranger… Beaucoup de courtisans supportent mal le caractère déluré des trois princesses. Et donc, forcément, des rumeurs assez salaces ne tardent pas à courir les couloirs…

Trop jolies, trop jeunes et trop peu respectueuses des usages de la cour, les princesses ne seraient pas des modèles de fidélité conjugale… Ne recevraient-elles pas des jeunes gens en cachette pour se livrer à la débauche ? Las, les bruits courent, les langues s’agitent, mais les preuves se dérobent… Et qui oserait publiquement mettre en cause la famille royale ?… Sourde et sournoise, la rumeur rampe, s’amplifie, patiente, attend son heure…

Le scandale de la Tour de Nesle | Philippe IV le Bel | Le site de l'Histoire | historyweb.fr

Portrait de Philippe IV le Bel

Aux sources de l’affaire

Au début de l’année 1314, le roi Edouard II d’Angleterre arrive en visite officielle en France.

En janvier 1308, Edouard a épousé Isabelle de France, la fille de Philippe IV, une très jeune femme dont on vantera par la suite la beauté et l’intelligence politique qui n’avaient, disait-on, d’égales que celles de son père. Couronné roi d’Angleterre un mois après son mariage. Edouard est notoirement connu pour délaisser sa royale épouse, lui préférant les faveurs d’un jeune favori, Pierce Gavestone. Mais Isabelle parvient peu à peu à trouver sa place, et la mort de Gavestone contraint Edouard, totalement incompétent et en grande difficulté avec les principaux barons anglais, a rechercher de plus en plus ses conseils.

Le couple royal anglais était déjà venu à Paris en mai 1313 pour rechercher le soutien du roi de France. C’est au cours d’un spectacle particulièrement divertissant – des marionnettes particulièrement drôles, dit-on – qu’Isabelle avait offert à ses belles-sœurs Marguerite, Blanche et Jeanne, de splendides aumônières brodées.

Visite du Roi d’Angleterre

C’est donc encore avec la double casquette de roi et de gendre qu’Edouard revient en France en ce début de 1314. Il espère une fois de plus un soutien plus affirmé de son beau-père dans ses difficultés face à la noblesse anglaise. Une fois encore, la visite se déroule avec force banquets donnés au cours de fêtes somptueuses. Justement, s’est au cours de l’une de ces fêtes que le scandale de la tour de Nesle va éclater…

Un soir, Isabelle remarque deux jeunes chevaliers portant à la ceinture des aumônières. Celles-ci sont curieusement très semblables à celles qu’elle avait personnellement offertes à ses belles-sœurs quelques mois plus tôt. La reine d’Angleterre n’ignore évidemment rien des rumeurs sulfureuses qui courent sur la réputation de ses belles-sœurs. Et ce depuis maintenant plusieurs années. Aussi le fait que ces deux objets personnels se retrouvent entre les mains de deux beaux jeunes gens laisse-t-il peu de place au doute quant à la manière dont ils en sont devenus les propriétaires…

On ne connait évidemment pas les réelles motivations d’Isabelle quant à ce qu’elle décide de faire ensuite. Est-elle sincèrement soucieuse de la réputation de son père et de sa famille ? A-t-elle été manipulée par des “gens de bien” à la cour de France ayant tout intérêt à faire éclater l’affaire ? Ou bien joue-t-elle une carte toute personnelle ? Dans le but de déstabiliser son père, ses frères et la couronne de France ? Toujours est-il qu’elle décide d’informer personnellement  son père des suspicions qu’elle nourrit à l’encontre de Marguerite et de Blanche…

 

Tour de Nesle | Le scandale de la Tour de Nesle | Le site de l'Histoire | Historyweb

La tour de Nesle

La colère de Philippe le Bel

Cette fois l’affaire est sérieuse. Il ne s’agit plus de bruits de couloirs et de rumeurs colportées par des courtisans jaloux. C’est la propre fille du roi, la reine d’Angleterre, qui porte une accusation directe. Philippe le Bel entre dans l’une de ses terribles colères froides. Il ordonne une enquête qui va être menée au pas de charge. Les deux jeunes gens repérés par Isabelle sont arrêtés et immédiatement soumis à la « question ». Il s’agit de deux frères, Gauthier et Philippe d’Aulnay, tous deux chevaliers de l’hôtel royal. La torture a tôt fait de leur délier la langue. Oui, ils rencontrent régulièrement depuis trois ans les deux princesses Marguerite et Blanche pour se livrer avec elles à la fornication adultérine. La princesse Jeanne n’a pas d’amant, mais son silence vaut comlicité puisqu’il aide passivement au secret de ces rencontres. ]

Fermement interrogées, les princesses craquent et finissent par tout avouer.

L’histoire retiendra que les ébats coupables se seraient déroulé dans la tour de Nesle, l’une des tours de l’enceinte de Paris construite par Philippe Auguste, juste en face du Louvres. Ce sera donc le scandale de la tour de Nesle.Le scandale de la tour de Nesle.

C’est là que l’affaire dérape. Les aveux  des deux frères ne restent pas longtemps confinés aux salles de torture royales. Des fuites, très probablement savamment organisées par d’obscurs manipulateurs hostiles aux princesses et peut-être même au roi,  se répandent rapidement dans tout le palais, puis dans tout Paris. A moins que le roi lui-même, devant l’étendue de la calomnie qui couraient déjà sur la maison royale ait lui-même voulu rendre l’affaire publique pour faire montre d’autorité ? Quoi qu’il en soit, l’affaire de la tour de Nesle devient rapidement un véritable scandale d’état. Le scandale de la tour de Nesle.

Le scandale éclate

 

Marguerite de Bourgogne | Scandale de la tour de Nesle | historyweb.fr

Marguerite de Bourgogne

 

Ce qui aurait pu rester une simple histoire d’adultères va donc prendre des proportions jamais vues jusqu’alors. En quelques semaines, les rumeurs les plus folles se répandent partout et, bien-entendu, le bouche à oreille populaire aggrave largement la vérité des faits. Ce ne sont plus deux mais plusieurs amants que les princesses avaient l’habitude de recevoir toutes les nuits, sinon plusieurs fois par jour, pour s’adonner  à des orgies et aux dépravations les plus perverses. Marguerite et Blanche deviennent la cible de toutes les haines et toutes les rancœurs. La réputation et la crédibilité de la couronne sont éclaboussées : tout Paris raille les fils trompés du roi. La cour n’est pas en reste : comment le roi a-t-il pu être aussi aveugle à de tels choses se déroulant dans sa propre maison depuis des années ?

Comment ses fils pourraient-ils espérer régner sur la France, eux qui sont incapables de se rendre compte qu’ils sont cocufiés par leurs femmes pratiquement sous leur nez ?

Mais il y a pire… Marguerite et Blanche sont les femmes des héritiers directs de la couronne. Elles sont donc également les mères potentielles de futurs héritiers du trône. Mais quelle pourraient être la légitimité d’un futur souverain dont on pourrait mette en doute la véritable paternité à cause du caractère volage et pervers de sa mère ? La petite Jeanne, la fille aînée de Louis et Marguerite, est d’ailleurs immédiatement soupçonnée d’être en fait une bâtarde…

En quelques semaines, le scandale de la tour de Nesle devient politique, puis dynastique et finit par ébranler les fondations même de la dynastie capétienne. Le scandale de la tour de Nesle, Le scandale de la tour de Nesle

Le scandale de la Tour de Nesle : les châtiments

Philippe IV, qui pourtant est très loin d’être un faible, au contraire même, ne peut juguler l’ampleur du scandale. Il ne peut tolérer que sa couronne soit ainsi traînée dans la boue. Sa royale justice va passer. Le châtiment des coupables va être terrible.

Ses brus vont tout d’abord subir toute la férocité de son courroux. Les trois jeunes femmes sont arrêtés par ses gens d’armes et, dans le secret des cachots royaux, traitées comme de vulgaires filles de rien.

Des peines impitoyables pour les femmes

Le 19 avril 1314, au terme d’un semblant de procès, les sentences tombent. Marguerite est condamnée à être tondue. On la conduit ensuite dans un chariot couvert de draps noirs jusqu’au donjon de Château-Gaillard en Normandie. Aux yeux du roi, sa culpabilité est la plus grave. Parce qu’elle est la femme du premier prétendant à la couronne. Aucune pitié pour elle. On l’enferme seule dans une cellule ouverte aux quatre vents. Elle meurt de privations et d’épuisement au milieu de l’année 1315.

Une rumeur tenace, mais jamais prouvée, voudrait qu’elle ait été étranglée sur ordre de son mari. Mais les conditions déplorables de sa détention suffisent à accréditer le fait qu’on l’ait tout simplement laissée mourir d’une manière atroce. Blanche est également tondue puis enfermée dans un cachot voisin mais, par « clémence », maintenue en vie. Jeanne, quant à elle, est accusée de complicité pour avoir gardé le secret et facilité les rencontres des adultères. Soutenue bec et ongles par sa mère Mahaut d’Artois qui défend âprement sa cause, elle est « simplement » mise au secret à Dourdan.

Peine de mort pour les deux amants

Condamnation à mort pour les deux frères d’Aulnay. Pour crime de lèse-majesté. Philippe IV exige que la sentence soit exécutée en place publique. La mise à mort a lieu le jour même à Pontoise. Les deux frères sont battus et écorchés vifs. Puis les bourreaux les émasculent vifs. Avant de jeter leurs sexes aux chiens. Puis ils répandent du plomb fondu sur leurs corps. Enfin, des chevaux les traînent dans toute la ville. Avant qu’on les décapite. Ultime ignominie, les bourreaux jettent les dépouilles dans les rues. Livrées à la populace comme de la viande avariée. Avant d’être pendues aux gibet par les aisselles pour être exposées à pourrir à la vue de tous.

Inflexible, impitoyable, le justice du roi est passée. La calomnie se tait devant la toute puissance du roi. Les courtisans baissent la tête et se soumettent. Et le scandale de la tour de Nesle va s’éteindre avec la mort du roi.

Des conséquences politiques majeures

Le scandale de la tour de Nesle a eu des conséquences politiques majeures en affaiblissant le prestige, la légitimité et la crédibilité des descendants de Philippe IV le Bel. Celui-ci meurt le 4 novembre 1314 au cours d’une partie de chasse. Fort heureusement pour sa réputation, il restera dans l’histoire non pas comme le roi humilié par ses belles-filles, mais plutôt pour avoir été celui qui a considérablement renforcé le pouvoir de la couronne royale française durant son règne. On retient surtout qu’il a abattu les templiers le vendredi 13 octobre 1307. Maurice Druon en fera le premier de ses fameux « Rois Maudits ».

Le fils aîné de Philippe IV, Louis, déjà Louis Ier de Navarre, monte sur le trône de France sous le nom de Louis X. Son caractère colérique et querelleur lui vaudra le surnom de “Louis le hutin”. Il épouse en seconde noces Clémence de Hongrie. Il meurt brutalement en 1316  d’un malaise foudroyant après un partie de jeu de paume et alors que la reine est enceinte. Sa fille, Jeanne de Navarre, est bien pressentie par les Bourguignons pour hériter de la couronne. Mais à cause du scandale de la tour de Nesle qui a éclaboussé sa mère Marguerite, on la soupçonne de bâtardise. Et sa légitimité est nulle.

C’est le frère de Louis, Philippe, qui assure donc d’abord la régence. La reine Clémence accouche finalement d’un fils, Jean Ier dit Jean le Posthume, mais qui ne vivra que quelques jours. Philippe devient donc roi en 1317 sous le nom de Philippe V le Long.  Mais son accession au trône ne se fait pas sans heurt.

La légitimité de la couronne décrédibilisée

De fait, le scandale de la tour de Nesle a considérablement altéré sa crédibilité. Les barons français, son oncle Charles de Valois en tête (le frère de Philippe IV), revendiquent les droits de leurs maisons dans une quasi fronde ouverte. Même son propre frère, probablement manipulé par leur oncle Charles de Valois, s’opposera ouvertement à lui. Philippe V réussira à sauver sa couronne en dotant ses filles de très larges parts du domaine royal et en les mariant aux princes des maisons les plus récalcitrantes.

Des concessions territoriales qui vont considérablement affaiblir la couronne et seront plus tard à l’origine directe de la sortie de la Bourgogne, de l’Artois et de la Franche-Comté du royaume de France. Philippe V finit par pardonner à son épouse, Jeanne, qui devient donc reine de France mais dont la réputation restera à jamais ternie par le scandale de la tour de Nesle. Le couple aura sept enfants dont deux fils qui mourront très jeune. Philippe V meurt de la dysenterie, après 5 mois d’une terrible agonie, le 3 janvier 1322. Là encore, pas de descendance mâle directe.

C’est son frère cadet, Charles, qui monte sur le trône sous le titre de Charles IV. Sa femme, Blanche de Bourgogne va rester enfermée pendant sept ans. Elle devient donc reine de France alors qu’elle est encore en prison. À cause du scandale de la tour de Nesle, elle ne montera bien-sûr jamais sur le trône. Le Pape annule d’ailleurs son mariage en mai 1322. Faveur exceptionnelle, elle obtient ensuite l’autorisation de prendre l’habit de religieuse. Charles IV – dit Charles le Bel, comme son père – se remarie deux fois mais ces unions se terminent tragiquement et il meurt en 1328, là encore sans héritier mâle direct.

Crise de succession

À la mort de Charles IV s’ouvre donc une grave crise de succession pour la couronne de France. Plusieurs prétendants au trône vont se faire connaître, dont Edouard III d’Angleterre. Fils d’Isabelle de France, petit-fils de Philippe IV le Bel, il est de fait l’héritier mâle direct le plus proche de la couronne de France. Il va violemment s’opposer à la nomination comme roi de France, par les barons français, du neveu de Philippe IV, Philippe de Valois qui va finalement prendre le trône sous le nom de Philippe VI.

Cette querelle de succession sera directement à l’origine de la terrible guerre de cent ans…

Dernière précision, pour la petite histoire… Si le scandale est bien restée dans l’histoire sous le nom de « scandale de la tour de Nesle », il s’avère qu’en fait aucun écrit de l’époque ne mentionne ce lieu. C’est Alexandre Dumas, le père des trois mousquetaires, qui écrit en 1832 un drame en cinq actes intitulé « La tour de Nesle », dans lequel il met en scène, anachroniquement, une Marguerite de Bourgogne déjà reine de France et se livrant à des nuits sulfureuses dans la fameuse tour, avant de tuer ses partenaires et de les jeter dans la seine pour ne laisser aucun témoin de ses débauches…

Twenty One

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