deux L’invincible armada et la bataille de gravelines
En 1588, le roi d’Espagne Philippe II lance contre l’Angleterre d’Elisabeth Ière une force navale titanesque. A l’époque, c’est la plus puissante flotte militaire jamais réunie. 130 navires puissamment armés. À bord, 30 000 hommes, dont un corps expéditionnaire de 20 000 soldats qui n’ont qu’un seul but : envahir l’Angleterre pour permettre à leur roi très catholique d’en finir une bonne fois pour toute avec l’arrogance de la reine hérétique… Les Espagnols l’appellent « Grande y Felicísima Armada » – « La grande et très heureuse flotte ». L’Histoire s’en rappelle sous le nom de L’Invincible Armada.
L’Invincible Armada et la Bataille de Gravelines
L’Invicible Armada : un contexte très tendu entre l’Angleterre et l’Espagne…
Depuis l’accession au trône d’Angleterre d’Elisabeth Ière, les relations diplomatiques entre l’Angleterre et l’Espagne se sont lentement mais sûrement dégradées. Philippe II d’Espagne, roi très catholique, est veuf de Marie Ière Tudor. Pour lui, Elisabeth n’est rien moins qu’une bâtarde, une usurpatrice et, pire que tout, une hérétique. C’est Marie Stuart, la reine – catholique – d’Ecosse et cousine d’Elisabeth qui est, selon Philippe II, la seule légitime à pouvoir monter sur le trône d’Angleterre.
Pourtant il n’en a pas toujours été ainsi. En 1554, le futur Philippe II d’Espagne, fils de Charles Quint, épouse la reine Marie Ière d’Angleterre. Elle est la fille de feu Henri VIII et de Catherine d’Aragon. Elle est une catholique fervente, contrairement à sa demi-sœur Elisabeth. Celle-ci est d’éducation protestante. Le mariage est un nouveau rapprochement entre les deux pays. Il intervient après l’épisode désastreux de la répudiation de Catherine par Henri VIII, celle-ci ne parvenant pas à lui donner d’héritier mâle… Episode qui conduit directement l’Angleterre au schisme anglican et à la rupture avec l’Espagne et la papauté.
Mais Marie Ière est une catholique intransigeante qui entend bien tuer la Réforme protestante dans son pays. Sa popularité décline très rapidement après son mariage. Début 1554, un complot tente de la renverser. La répression est féroce. Evidemment, les soupçons se porte sur Elisabeth. Un procès l’assignera longtemps à résidence.
Le contexte international
Lorsque Philippe II accède au trône d’Espagne en 1556, il est depuis longtemps évident que Marie Ière d’Angleterre ne pourra pas avoir d’enfant. De fait, l’héritière la plus logique est alors la catholique Marie Ière d’Ecosse. Oui mais voilà, celle-ci est la femme du Dauphin François, futur François II de l’ennemi juré de l’Espagne : la France. Et Philippe de se rapprocher de sa belle-sœur Elisabeth, considérant à ce moment là, bien qu’Elisabeth soit protestante, qu’il vaut mieux jouer contre la France…
Fin 1558, Marie Ière d’Angleterre meurt, après avoir désigné Elisabeth pour lui succéder. Philippe tente alors de pousser son avantage. En 1559, il demande Elisabeth en mariage. Après de longues et pénibles négociations, elle refuse. Camouflet pour Philippe…
La légitimité dynastique et la religion… Voilà donc les deux principaux mobiles qui conduisent officiellement Philippe II d’Espagne, après plus de 20 ans de tensions et de guerre larvée, à décider d’envahir l’Angleterre. Le Pape Sixte V pèse d’ailleurs de tout son poids sur ce projet. Il promet 1 million de ducats à Philippe dès lors que le premier soldat espagnol débarquera en Angleterre…
Politique, commerce, pillages et corsaires
Mais deux autres raisons beaucoup plus pragmatiques motivent Philippe.
La première est politique. Depuis 1579, l’Angleterre soutient ouvertement les Provinces Unies – Pays Bas – dans leur rébellion contre l’Espagne. Une ingérence dans sa zone d’influence géopolitique continentale qui exaspère Philippe.
La deuxième est la plus importante. Elle est commerciale. Depuis le traité de Tordesillas en 1494, l’Espagne et le Portugal détiennent le monopole des richesses du Nouveau Monde. Or, le schisme et les troubles qui en ont résultés ont beaucoup affaibli l’Angleterre. Elle a désespérément besoin de revenus. Où trouver l’or ? Là où il est. Dans les cales des galions espagnols. Ainsi, dès 1577, Elisabeth n’hésite pas, en sous-main, à lâcher ses corsaires sur les convois navals espagnols. Le plus célèbre, Francis Drake, parviendra ainsi à piller plus de 700 000 livres à lui tout seul. Officiellement, bien-sûr, Elisabeth feint et jure de ne rien savoir de ces actes de pirateries… tout en faisant Drake Chevalier.
Anéantir l’Angleterre ?
Philippe II n’est pas dupe. La diplomatie s’empêtre dans les dénis de la reine vierge ? Il faut donc recourir à d’autres méthodes… Le roi d’Espagne va ainsi jouer la carte religieuse pour présenter Elisabeth comme une hérétique. Il finance en secret plusieurs complots. Des extrémistes catholiques débarquent en Angleterre pour assassiner la reine. Mais le chef de ses services secrets, Francis Walsingham, a mis en place des méthodes modernes de contre-espionnage. Elles parviennent à déjouer toutes les tentatives.
Poussé à bout de patience par ces échecs et par l’insolence anglaise, Philippe II se résout finalement à l’option militaire. Ses plus proches conseillers la lui chuchotent à l’oreille depuis longtemps. En 1585, la guerre est désormais ouverte. Le contexte semble favorable au roi d’Espagne. Il sait sa rivale en proie à de nombreux troubles intérieurs. Philippe croit fermement c’est le peuple d’Angleterre lui-même renversera la reine. Sitôt que les navires espagnols s’approcheront des côtes d’Angleterre.
Et les autres pays d’Europe ?
La France ne bougera pas. Trop enlisée dans le chaos de ses guerres de religion. Le Saint Empire ? L’Empereur Maximilien II ne jure que par son cousin et beau-frère… Philippe II. Les Princes luthérien allemands ? Les scandinaves ? Trop hésitants. Trop faibles. Rien à craindre de ce côté là non plus.
Depuis sa victoire de Lépantes en 1571, l’Espagne domine les mers de toute sa puissance maritime. Elle bénéficie des ressources considérables du Nouveau Monde. Philippe II est bien le souverain le plus puissant de la planète. Il en est sûr. Elisabeth et ses pauvres corsaires ne feront pas le poids…
Alors ?
Le roi d’Espagne décide de réunir la force maritime la plus puissante possible. Les préparatifs commencent dès 1586. L’idée est de frapper fort. Très fort. Une bonne fois pour toutes. Il va consacrer des ressources invraisemblables à ce projet. Le plan initial est extrêmement ambitieux. Il prévoit de réunir près de 560 vaisseaux, dont une cinquantaine transportera une force d’invasion terrestre de plus de 60 000 hommes. Ce sera une « Grande y Felicísima Armada » – « grande et très heureuse flotte ». Une Invincible Armada…
L’Invincible Armada : une puissance maritime jamais vue…
Plusieurs types de navires existent en cette fin de XVIème siècle.
La patache : petit vaisseau léger, conçu principalement pour des courses rapides de reconnaissance ou de patrouille le long des côtes.
La galère : Bas sur l’eau, long et effilé, propulsé à la rame, c’est le vaisseau de prédilection des flottes en mer Méditerranée. Son faible tirant d’eau et son armement léger le rendent toutefois très vulnérable dans l’Atlantique.
La galéasse : C’est une innovation récente. Présentant une configuration hybride voiles/rames, ce type de vaisseau combine les avantages de la galère (rapidité, maniabilité) avec ceux du galion (stabilité, puissance de feu).
Le galion : c’est le vaisseau de combat classique à l’époque, dans l’océan Atlantique. Tant chez les Anglais que chez les Espagnols. Large, massif, il jauge entre 250 et 1000 tonneaux. Avec trois gros mâts, de lourdes voiles, des superstructures crénelées imposantes à la poupe et à la proue, il impressionne surtout par sa puissance de feu proportionnelle à son tonnage.
Ces quatre types de navires constituent principalement l’Invincible Armada.
Bien évidemment, de tels préparatifs nécessitent des moyens et une logistique énormes. L’Espagne possède les deux. Les Anglais découvrent très vite les projets de leur ennemi. D’ailleurs le secret n’est pas de mise côté espagnol. Au contraire. Partout les ambassadeurs de Philippe II pérorent sur l’Invincible Armada qui va mettre un terme définitif à l’imposture d’Elisabeth et à la fourberie anglaise. Stratégie de la peur par la menace ? Orgueil démesuré ? Sûrement un peu des deux. Mais cela fonctionne. Dans toute l’Europe, on est bientôt convaincu. La puissance ibérique va écraser la reine vierge. En Angleterre aussi, la rumeur enfle. Elisabeth voit sa situation se fragiliser lentement mais sûrement.
L’audace de Drake
Les Anglais ne restent pourtant pas les bras croisés. Drake, agissant une fois encore en corsaire, lance une attaque préventive, le 29 avril 1587, contre le port de Cadix où une partie de la flotte espagnole est en train de se regrouper.
Un raid audacieux, rapide, percutant. Un coup de corsaire.
Il coule 24 navires, quasiment sans essuyer de pertes, avant de repartir aussi vite qu’il était arrivé. L’importance des dégâts est en réalité très relative pour les Espagnols. Mais le raid de Drake aura pourtant une conséquence incroyablement néfaste pour l’Invincible Armada.
Car il va amener Philippe II a un changement de plan qui va s’avérer trop hasardeux.
L’orgueil aveugle l’Espagne
Philippe II est-il blessé dans son orgueil ? Craint-il de se décrédibiliser en regard de toute la propagande orchestrée autour de son Invincible Armada ? Redoute-t-il réellement d’autres raids similaires ? Toujours est-il qu’il décide d’accélérer les préparatifs et de modifier son plan initial. Pour pouvoir attaquer plus tôt, on ramènera la flotte à 130 navires. Le corps expéditionnaire au départ d’Espagne chargé de l’invasion terrestre proprement dite sera réduit à 20 000 hommes. Il sera complété par 30 000 hommes qui seront prélevés sur les forces d’Alexandre Farnèse, Duc de Parme et gouverneur des Pays-Bas espagnols, qui se battent en Hollande.
Ils n’auront qu’à traverser la Manche, sous la protection de l’Invincible Armada qui s’en sera assurée la maîtrise, pour débarquer sur les côtes anglaises. Quatre galéasses, l’arme navale absolue pour les Espagnols, seront engagées. Et l’artillerie de la flotte sera doublée pour conserver une puissance de feu incomparable. Mais aveuglés par leur puissance, Philippe et ses amiraux ne voient pas l’énorme faille de ce plan. Il faudra en effet une coordination impeccable entre l’Invincible Armada partie d’Espagne et les forces navales et terrestres de Hollande, afin que le débarquement des deux parties du corps expéditionnaire puisse se faire au même moment, au même endroit, le plus rapidement et le plus sûrement possible. Or, avec les moyens de communication de l’époque, ce point crucial reste très incertain…
L’appareillage
Malgré la volonté de fer de Philippe II, les difficultés s’accumulent. L’armement de la flotte prend énormément de retard. L’Europe doute. L’Invincible Armada n’était-elle qu’une vantardise ? L’invasion tant annoncée aura-t-elle lieu, finalement ? Même les Anglais commencent à s’interroger.
L’Europe a tort. Les Anglais aussi. Début juin, la nouvelle arrive à Londres. L’Invincible Armada a appareillé le 28 mai 1588. Sur le papier, c’est une flotte réellement redoutable. 130 navires, transportant plus de 30 000 hommes, près de 2 500 canons, 125 000 boulets et 80 tonnes de poudre. Sans compter tout le ravitaillement nécessaire : près de 400 000 quintaux de denrées diverses et… 23 millions de litres de vins ! Le tout pour un coût exorbitant. Chaque jour, l’Invincible Armada coûte plus de 12 000 ducats à l’Espagne… Une fortune…
En réalité, les forces sont beaucoup équilibrées qu’on ne le croit. Les Anglais alignent 190 vaisseaux. Certes, leur tonnage total est inférieur à celui de l’Invincible Armada. Mais face à la flotte de Philippe, les anglais possèdent plusieurs atouts non négligeables…
Contre l’Invincible Armada : les atouts anglais
Le commandement :
Le premier atout des Anglais est l’expérience de leurs officiers. Le commandant de la flotte de contre-armada, Lord d’Effingham est un marin qui connait son affaire. Il est secondé par des capitaines compétents et rompus aux courses de haute mer, comme Francis Drake, encore lui. Certes, ces hommes n’ont pas l’expérience du combat naval de grande envergure, mais ils ont indéniablement le sens de la mer, de la manœuvre et de l’initiative. En face, la situation est plus problématique pour les Espagnols.
Le marquis de Santa Cruz, marin expérimenté et initiateur de l’Invincible Armada, meurt 4 mois avant l’appareillage. Dans l’urgence, Philippe II est contraint de nommer le Duc de Medina Sidonia à la tête de sa flotte. Non pour ses compétences maritimes – il n’en avait aucune – mais pour ses titres qui le plaçaient au dessus des jalousies de la cour. Certes, ses commandants d’escadre sont plus expérimentés, mais ils n’ont pour la plupart jamais navigué dans les mers du nord. L’Invincible Armada souffre donc d’un réel déficit de commandement qui pourrait s’avérer désastreux.
La tactique navale
Les Espagnols se battent en mer comme ils le font sur terre. Leur tactique consiste à s’approcher au plus près des navires ennemis pour les accrocher au grappin et les prendre d’abordage. C’est pourquoi leurs galions possèdent des coques massives, compactes et très résistantes. Ils sont stables, lourds et armés de canons très puissants mais de courte porté car uniquement chargés d’immobiliser les navires ennemis. Ils sont de plus surélevés avec de hautes fortifications de bois à la poupe et la proue abritant des forces d’abordage lourdement armées de sabres et de mousquets. Le galion espagnol est le rouleau compresseur des mers… Détail important : les navires de l’Invincible Armada sont littéralement plombés par tout le ravitaillement, les chevaux, le matériel et les munitions destinés à assurer les nombreux mois de campagnes maritimes et terrestres à venir…
En face, les anglais ont adopté depuis longtemps une toute autre tactique, directement héritée de l’expérience de leurs corsaires. L’idée, très moderne voire révolutionnaire pour l’époque, consiste à considérer que c’est à l’artillerie que doit incomber la destruction des capacités de combat de l’adversaire. En conséquence, les galions anglais ont été repensés pour avoir des coques plus longues, moins épaisses, pour être plus rapides et beaucoup plus maniables. Ils sont équipés de canons à plus longue portée pour pouvoir tirer de loin et éviter l’engagement direct de l’abordage. Et si la flotte espagnole présente un tonnage supérieur, les deux camps alignent en fait chacun une soixantaine de vaisseaux de combat pur avec un avantage en vitesse et manœuvrabilité clairement anglais.
Contrairement à la légende qui a perduré depuis le XVIème siècle, et même si les Anglais eux-mêmes n’en étaient pas persuadés à l’époque, l’Invincible Armada de Philippe II n’était pas si invincible que cela…
Une traversée laborieuse
Dès son départ, l’Invincible Armada connait déboires sur déboires. Des vents contraires la contraignent à se dérouter vers le sud. Une tempête disperse une partie des vaisseaux. Et pour couronner le tout, l’eau et les vivres se gâtent prématurément. Le 19 juin Sidonia doit revenir à La Corogne pour se regrouper et se réapprovisionner. Il tente de convaincre Philippe II de tout annuler. Le roi reste inflexible.
Le 22 juillet 1588, l’Invincible Armada appareille de nouveau. Elle atteint l’entrée de la Manche le 29… où elle affronte une nouvelle tempête qui lui fait perdre une galère et un vaisseau amiral, celui du plus expérimenté de ses capitaines, Juan Martinez de Reccalde. Ce dernier en réchappe, mais ce nouveau coup du sort est de mauvaise augure.
Au large de l’Angleterre
L’Invincible Armada adopte une formation en croissant, dont le ventre comprend le gros des troupes et est tourné vers l’Angleterre. Les deux extrémités s’étirent vers le continent. Une disposition similaire à un dispositif terrestre qui ne manque pas d’impressionner les anglais qui n’ont jamais eu à affronter une flotte entière rangée en ordre de bataille.
Marée oblige, le gros de la flotte anglaise ne quitte Plymouth le 29 juillet au soir, alors que l’Invincible Armada l’a déjà dépassée. En effet, Sidonia ne cherche pas à engager les navires anglais. Il se contente de suivre à la lettre ses ordres qui sont de rejoindre la Hollande pour faire sa jonction avec le Duc de Parme et son corps expéditionnaire. Grave erreur. Les Anglais sont maintenant dans son dos, avec un vent favorable qui leur permet de contrôler leurs distances…
Premier engagement
Le premier accrochage sérieux à lieu deux jours plus tard, le 31 juillet 1588. Sept vaisseaux anglais engagent férocement l’aile gauche espagnole. Le galion de Reccalde est sérieusement pris à parti avant d’être secouru par une partie du centre de l’Invincible Armada qui a rebroussé chemin. Dès qu’ils perdent l’avantage du nombre et de la mobilité, les anglais rompent le combat avec prudence. La malchance continue de poursuivre les Espagnols. Pendant l’affrontement, un accident provoque la terrible explosion du San Salvador. 200 morts.
Dans la confusion, un navire espagnol en éperonne un autre, le Rosario, celui d’un autre fameux capitaine, Diego Florès de Valdez. Le navire s’avère trop endommagé pour être pris en remorque. On sed résout à le laisser sur place, avec son équipage qui a refusé de l’abandonner. Sauf Valdez, qui est le chef d’état-major de Sidonia et qui préfère quitter son vaisseau pour continuer le combat… Une noble attitude qui lui coûtera cher. Francis Drake, encore et toujours lui, arraisonnera Le Rosario deux jours plus tard.
Les faiblesses espagnols
Le bilan de ce premier engagement est nul en ce qui concerne les pertes, exception faite des deux accidents espagnols. Mais les équipages de l’Invincible Armada en sortent affaiblis moralement. De plus, ils n’ont pu que constater la très grande mobilité des navires anglais en comparaison des leurs. Et pour couronner le tout, ils se sont aperçus que les canons anglais ont une cadence de tir trois fois plus rapide que les leurs… Un avantage énorme. Bizarrement, les Anglais ne le réalisent pas. Certes, la portée de leurs canons les a maintenus éloignés de l’artillerie espagnole, mais leur puissance s’est avérée trop insuffisante pour que leur mitraille endommage sérieusement les lourdes coques de l’Invincible Armada.
Graves erreurs des Espagnols, avantage aux Anglais
Pendant une semaine, la flotte anglaise et l’Invincible Armada vont jouer au chat et à la souris. Contre l’avis de ses officiers, Sidonia va s’obstiner à rejoindre la Hollande au lieu de contraindre les anglais à subir la tactique du combat rapproché et de l’abordage. Encore une erreur gravissime. D’autant qu’une partie de la flotte anglaise est encore au large de Dunkerque. Le 2 août 1588, nouvel accrochage. Le vent est tombé, et les Espagnols ont décidé d’engager leurs nouvelles galéasses. Deux d’entre-elles entreprennent de coincer le Triumph du Capitaine Frobisher. Les rames des navires espagnols leur permettent de se mettre très rapidement en position favorable… avant que le navire anglais ne se dégage en ouvrant un feu d’enfer sur les rameurs et leurs gigantesques avirons.
Perdant la synchronisation de leurs rameurs, les galéasses deviennent totalement impossible à manœuvrer et perdent tout leur potentiel offensif. La nouvelle arme navale absolue de l’Invincible Armada censée allier les avantages du galion et de la galère perd toute crédibilité en quelques minutes de combat… Les escarmouches vont se poursuivre sur le même schéma pendant plusieurs jours. Les Anglais harcèlent sans cesse l’aile gauche de l’Invincible Armada en restant hors de portée, sans gaspiller de munitions, et se replient dès que le gros des forces espagnoles arrive en renfort.
Nouvelle erreur tragique de Sidonia
Pourtant, Sidonia aurait tout intérêt à prendre l’initiative. Mais non. Il va persister dans une stratégie défensive qui n’a d’autres résultats que de saper un peu plus le moral de ses marins et de diminuer dangereusement son stock de poudre et de munitions. Le 6 août, il commet sa troisième erreur. Sûrement la plus grave. Plutôt que de se rapprocher des côtes hollandaises pour trouver un ancrage sûr et proche des troupes de Farnèse dont il doit protéger le transfert en Angleterre, il ordonne de jeter l’ancre dans la baie de Gravelines, au nord-est de Calais.
Un endroit trop exposé où l’Invincible Armada sera soumise à de forts courants et au bon vouloir de la flotte anglaise. Ses officiers le supplient de revenir sur sa décision. Il s’entête. Il a tort. D’autant qu’en Hollande, le corps expéditionnaire n’est pas prêt. La fameuse faille de coordination dans le second plan de Philippe II. Lorsque le duc de Parme a reçu l’ordre de se mettre en dispositions, l’Invincible Armada entrait déjà dans la Manche…
Ruse anglaise
Pendant ce temps, toute la flotte anglaise se réunit. Et elle rallie également plusieurs navires hollandais. Dès lors, Effingham est en possession de tous ses moyens. Et il compte bien en profiter. Les anglais sont rusés. De plus, ils connaissent très bien le secteur où l’Invincible Armada est ancrée. Dans la nuit du 7 au 8 août 1588, ils enflamment 8 navires et les laissent dériver vers les vaisseaux espagnols au mouillage. Le feu… Contre des voiles en toiles et de coques de bois remplies de poudre… Peut-être le pire ennemi d’une marine militaire à l’époque. Les Espagnols voient arriver ces navires de l’enfer et se persuadent en quelques minutes qu’ils sont bourrés de poudre… Ce que les Anglais n’ont pas fait.
Parce qu’ils n’avaient pas de stock suffisant pour faire de ces navires des bombes flottantes efficaces. Leur but était simplement d’affoler les Espagnols pour les désorganiser. Ils vont réussir au-delà de toutes leurs espérances. Pris de panique, les équipages ne prennent pas le temps de remonter leurs ancres. Ils coupent leurs bouts précipitamment et s’enfuient comme ils le peuvent dans toutes les directions. Pas un seul des navires enflammés par les Anglais ne touchera un vaisseau espagnol. Ils s’échoueront d’eux-mêmes sur les côtes françaises. Mais l’Invincible Armada a perdu la cohésion de sa formation…
L’Invincible Armada et la défaite à la bataille de Gravelines
La bataille décisive a lieu le 8 août 1588, au large de la ville française de Gravelines. L’Invincible Armada est trop dispersée. Dès le lever du jour, une des galéasses s’échoue lamentablement devant Calais. Elle est prise d’assaut par les Anglais. De nombreux autres navires sont dangereusement isolés. Aucun n’est coulé, mais beaucoup sont sérieusement endommagés avant de pouvoir rejoindre leur ligne.
La bataille va faire rage jusqu’à la tombée de la nuit. Les précédentes erreurs de commandement de Sidonia vont peser lourdement sur le sort de l’Invincible Armada. Les Espagnols ne parviennent pas à se regrouper dans une formation correcte. Pire, les munitions viennent rapidement à manquer. Tout au long de la journée, les terribles canons espagnols se taisent un à un. Les vaisseaux anglais en profitent pour s’approcher de plus en plus près. Plus rapides, plus maniables, ils se positionnent pour lâcher des bordées chaque fois plus meurtrières. En fin de journée, les Espagnols ne ripostent plus qu’avec leurs mousquets…
Le Maria Juan, un galion de près de 700 tonneaux, est coulé avec ses 280 hommes et 24 canons. Très endommagés, le San Felipe et le San Mateo, des monstres de près de 800 tonneaux et 40 canons chacun, s’échouent sur les côtes flamandes. Les Hollandais massacrent sans pitié les rescapés… Lorsque la nuit tombe, les Espagnols ont compris que l’Invincible Armada a échoué. L’invasion de l’Angleterre n’aura pas lieu. Le lendemain, 9 août, une nouvelle tempête pousse les Espagnols contre les côtes flamandes infestées de récifs et où les navires légers hollandais les attendent pour la curée. L’Invincible Armada ne doit son salut qu’à un brusque changement de vent qui lui permet de reprendre le large in extremis.
Une défaite espagnole plus qu’une victoire anglaise ?
Les pertes espagnoles devant Gravelines ne sont pas aussi catastrophiques que la propagande anglaise l’a claironné et que l’Histoire l’a retenu jusqu’à nos jours. En réalité, avec leurs huit navires sacrifiés en brulôts, ce sont les Anglais qui ont perdu le plus de vaisseaux. Mais l’Invincible Armada a perdu près de 1500 hommes. Beaucoup de ses navires sont gravement endommagés et ne tiennent encore à flot que par miracle. Elle n’a quasiment plus de munitions.
Le moral des Espagnols est cassé. Sidonia décide de jeter l’éponge. Il a le choix de forcer le passage vers le sud-ouest pour redescendre la Manche et rentrer en Espagne. Mais il faut pour cela affronter les vents et des courants contraires. Alors il décide de fuir par le nord pour contourner l’Ecosse et redescendre vers l’Espagne par l’Atlantique en croisant au large de l’Irlande. Ce sera sa quatrième erreur…
De leur côté, les Anglais tergiversent. S’ils ont bien compris que la victoire était malgré tout à eux devant Gravelines, ils n’ont en revanche pas du tout réalisé l’ampleur des dégâts matériels et surtout moraux qu’ils ont réussi à infliger à leurs ennemis. De plus, une maladie qui s’apparente au typhus se répand parmi les équipages, vraisemblablement à cause d’une eau peu potable ou de bière croupie. Elle emportera près d’un millier de marins anglais. Dix fois plus que les combats contre l’Invincible Armada… Enfin, Elisabeth est à cours d’argent pour continuer à financer sa flotte. Quelques jours après la bataille de Gravelines, elle en ordonne la démobilisation.
Le retour : le sort s’acharne
Le sort va s’acharner sur l’Invincible Armada. Ainsi, entre le 10 et le 20 septembre 1588, elle entame une pénible descente par l’ouest de l’Irlande après avoir contourné l’Ecosse par le nord. Les Espagnols connaissent mal cette zone. Les ordres sont de rester très au large des côtes où les récifs et les bancs de sables sont des pièges mortels. Mais les courants et les vents contraires faussent leur navigation et les rapprochent dangereusement des terres. Certains capitaines vont tenter leur chance. Ils essaient de rallier des mouillages abrités pour réparer leurs graves avaries et se ravitailler auprès de la population irlandaise, qu’ils espèrent favorable puisque catholique comme eux.
Déboires sur les côtes irlandaises
Mais leurs navires sont trop endommagés pour pouvoir manœuvrer correctement dans ces parages dangereux. Le froid affaiblit les équipages déjà rationnés en eau et en vivres. Les vents, les courants et les bancs de brume n’arrangent rien. Beaucoup vont faire naufrage et couler corps et biens. Quant à ceux qui réussissent à gagner un abri, ils restent soumis aux vents et aux courants : leurs ancres sont restés au fond de la baie de Gravelines… Ils s’échouent lamentablement.
Et la population irlandaise va s’empresser de massacrer les équipages. Catholiques ou pas, mieux vaut piller ce qui peut encore l’être. Parfois, craignant peut-être des représailles de la part des anglais, elle va leur livrer quelques prisonniers. Les plus hauts gradés des officiers espagnols seront laissés en vie pour être vendus contre rançon. Les autres marins seront impitoyablement exécutés. L’Invincible Armada va perdre ainsi plus d’une cinquantaine de vaisseaux et entre 5 et 6 000 hommes. Mais son calvaire n’est pas terminé. Le 21 septembre, les restes d’une très grosse tempête achèvent de la briser.
Le bilan
Le 22 septembre, Sidonia atteint le port espagnol de Laredo. L’Invincible Armada n’est plus qu’un fantôme de flotte. Seuls 22 navires ont réussi à rentrer avec lui… Quelques autres parviendront à regagner l’Espagne dans les jours suivants.
Les maladies, les combats, les tempêtes et les naufrages ont coûté à l’Invincible Armada plus de 10 000 hommes. Elle a perdu définitivement plus de 50 navires. Des dizaines d’autres sont très sérieusement endommagés et nécessiteront de lourdes réparations. Sans compter le coût financier exorbitant de l’opération.
Mais Philippe II, passé sa déception, ne va pas s’offusquer plus que cela de cet échec. Sidonia, une fois à terre s’est empressé d’abandonner ses hommes pour se réfugier dans ses orangeraies andalouses. Personne ne viendra l’inquiéter… On emprisonnera en revanche son chef d’état-major, Diego Florès de Valdez. Mais pour une affaire familiale, sous l’accusation d’avoir abandonné son détesté cousin sur le Rosario capturé par Drake…
L’Espagne tourne la page
L’argent et l’or du Nouveau Monde coulent à flot dans les coffres de Phillipe II. Dès 1589, une autre armada prendra la mer contre l’Angleterre. Trois autres encore suivront. Sans succès. Les Anglais aussi remonteront une nouvelle flotte. Francis Drake échouera cette fois lamentablement dans un raid manqué contre le port de La Corogne. Anglais et Espagnols finiront par mettre fin aux hostilités par le traité de Londres signé en l’abbaye de Westminster en 1604.
Encore aujourd’hui on pense à tort que l’Invincible Armada a subi une brutale et terrible défaite ce 8 août 1588 à la bataille de Gravelines, devant la fougue, le courage et l’extraordinaire habileté de la marine anglaise. David qui a de nouveau vaincu Goliath. Et pourtant… Certes, la magnifique, la terrible, l’Invincible Armada de Philippe II a bel et bien été vaincue. Mais au final, bien plus par les tempêtes, les maladies et les graves erreurs de son commandant que par les canons anglais. Pourtant, la propagande anglaise fera de cet échec une victoire grandiose et retentissante à la gloire de l’Angleterre et de sa reine Elisabeth.
C’est de bonne guerre. Après tout, Philippe II lui-même n’avait-il pas vanté à tort et à travers la puissance formidable de son Invincible Armada ?