Au début du mois d’août 52 av. J-C., le chef gaulois Vercingétorix se réfugie avec 80 000 de ses guerriers dans l’oppidum d’Alésia, au sommet d’une vaste colline. Jules César, à la tête de douze légions romaines, met en place contre eux un siège impitoyable. Après deux mois d’un blocus implacable, il parvient à les épuiser et à les affamer… Retour sur le parcours de ce jeune chef gaulois entré dans la légende de l’histoire de France comme les premiers des libérateurs de territoire national, presque au même titre que Jeanne d’Arc…
Qui est Vercingétorix ?
Vercingétorix est sans doute né en pays arverne – l’actuelle Auvergne – , peut-être à Gergovie, ou même à Nemossos dont l’emplacement exacte reste inconnu. Les historiens ne connaissent pas non plus avec exactitude sa date de naissance. On retient généralement la date de 72 av. J-C par convention. Mais il est plus probable qu’elle se situe aux alentours de l’an 80 av. J-C.
Vercingétorix est le fils de Celtillos, le chef d’un des principaux clans du peuple arverne. Un chef trahi et mis à mort sur le bûcher par les familles aristocratiques arvernes pour avoir tenté de rétablir une royauté à son profit…
Les romains en Gaule : le contexte
Petit parenthèse de rappel : en 58 av. J-C, Jules César envahit la Gaule à la tête de ses légions et de contingents gaulois alliés pour «venir en aide» aux Eduens, alliés traditionnels de Rome, et «rétablir la paix» en Gaule. Les Germains, emmenés par Arioviste, se font en effet de plus en plus pressants dans le Nord et l’Est de la Gaule, au point même d’avoir forcé les Helvètes à entrer en Gaule pour se soustraire à leur menace. Incapables de contenir seuls ces multiples invasions, les Eduens en appellent donc à ses alliés romains.
Le prétexte est trop beau pour César qui rêve de soumettre l’ensemble des peuples gaulois à l’autorité de Rome et de s’accaparer leurs légendaires richesses. Ce qui n’échappe pas à Celtillos qui juge, avec raison, que les romains sont de fait les envahisseurs les plus dangereux. Le chef arverne tente alors de prendre la tête d’un parti anti-romain en se faisant sacrer roi. C’est à ce moment que les familles aristocratiques arvernes décident de l’exécuter. Elles refusent son autorité et craignent surtout de le voir remettre en question les lucratifs traités passés avec Rome en 120 av. J-C.
Celtillos éliminé
Lorsque Celtillos meurt sur le bûcher, son fils Vercingétorix est âgé d’une vingtaine d’années. C’est vraisemblablement à cette période qu’il entre dans l’entourage militaire de César. Avant ou après la mort de son père, on ne le sait pas exactement. Son engagement au sein de l’armée romaine répond très probablement à une clause du traité conclu entre Rome et les arvernes en 120 av. J-C lors de la conquête de tout le sud de la Gaule transalpine par Rome. Vercingétorix a très vraisemblablement été le commandant d’un important contingent de cavaliers arvernes réquisitionnés au titre de ces fameux accords. Le jeune aristocrate gaulois devient même l’un des «contubernales» – «compagnons de tente» du général romain, ce qui marque l’importance – diplomatique ou réelle – que César lui accordait. Vercingétorix va beaucoup apprendre au contact de César en observant les méthodes de guerre tactiques et stratégiques romaines.
César, Vercingétorix, la guerre des Gaules
Cette « Guerre des Gaules » qui commence en 58 av. J-C va durer plus de six ans. Elle va s’échelonner en plusieurs campagnes successives pendant lesquelles César va s’efforcer de conforter sa domination sur les tribus encore insoumises, étendant à chaque fois un peu plus son influence, jusque dans la «Bretagne» de l’époque, c’est-à-dire l’actuelle Grande Bretagne.
Elle commence par une série de victoires contre les Germains, que César va reléguer durablement au-delà du Rhin. Puis il bat les Belges (Nerviens et Bellovaques) et soumet enfin les peuples de l’Armorique. Nous sommes alors en 57 av. J-C. A ce stade, les romains ont pratiquement gagné la guerre et conquis la Gaule. Mais ils vont devoir faire face à une série de révoltes, particulièrement contre l’impôt auquel ils soumettent les tribus conquises. Ces rebellions vont vont mobiliser les légions pendant encore de longues années.
Révoltes et instabilité
Ainsi, en 56 av. J-C, César va affronter puis réduire en esclavage le peuple des Vénètes. Pendant l’hiver 54/53 av. J-C, ce sont les Eburons qui se révoltent durement. Là encore la répression de César est féroce. Il va quasiment les exterminer. Puis, au printemps 53 av. J-C, c’est au tour des Carnutes, des Sénons et des Trévires de se rebeller. A nouveau, la terrible machine de guerre romaine va mater ces révoltes sporadiques.
A l’hiver 53 av. J-C, César prend ses quartiers en Gaule Cisalpine – l’actuelle plaine du Pô en Italie. Profitant alors du grand mécontentement qui gronde dans toute la Gaule, Vercingétorix dénonce son alliance avec les Romains et retourne chez les Arvernes pour revendiquer, comme son père, le titre de la royauté. Cette fois le contexte est bien différent. La domination romaine, l’impôt, les exactions des légionnaires et les représailles sanglantes ont fini d’anéantir les arguments de ceux qui pourraient encore se déclarer en faveur de Rome.
Les tribus se rallient
Aussi, là où son père à échoué, Vercingétorix va réussir à prendre le pouvoir. Cela ne se fera pas sans difficultés. Tout comme son père, Vercingétorix va se heurter frontalement à l’aristocratie arverne. Au début de 52 av. J-C, son oncle paternel, Gobanicio, qui a été à l’origine de la mort de son père, va le rejeter avec le soutien d’une petite minorité dirigeante. Chassé de Gergovie, Vercingétorix n’en reste pas moins fort du soutien populaire. Il va donc lever des troupes dans tout le pays arverne et revenir en force. Cette fois, rien ni personne ne lui résiste.
Il s’impose comme le véritable commandant suprême. Et les tribus le proclament roi. Son premier geste est d’envoyer des ambassades aux principaux peuples de Gaule pour les inciter à reconnaître son autorité et à se soulever contre Rome. Ainsi, dès la fin de l’année 53 et le début de l’année 52 av. J-C, plusieurs tribus gauloises alliées traditionnelles des romains font défection et se rangent sous son autorité.
Guérilla et terre brûlée
Vercingétorix va montrer pendant cette période de réelles aptitudes politiques et militaires. Il sait que l’incroyable discipline et l’entraînement des romains leur confèrent une supériorité écrasante lors des batailles rangées. Il élabore donc une véritable tactique de guérilla et de harcèlement contre les romains, en utilisant au mieux les ressources du terrain. De plus, il a compris depuis longtemps que les légions de Rome étaient très dépendantes d’une logistique de ravitaillement assez lourde. Il va donc pratiquer la politique de la terre brûlée pour tenter d’asphyxier son adversaire.
Dans le même temps, et fort de ses succès, il va tenter de fédérer le plus grand nombre possible de tribus gauloises. Et il y parvient. A la fin de l’hiver de 52 av. J-C, il a rallié sous son autorité pratiquement tous les peuples du centre et de l’ouest de la Gaule.
Bien évidemment, César sent peser lourdement sur ses épaules le danger imminent d’une insurrection générale. Dès la fin janvier 52 av. J-C, il revient en Gaule transalpine et y retrouve six légions cantonnées pour l’hiver. Il dispose également de quatre autres légions réparties sur la frontière avec les Germains.
Vercingétorix ne démord pas de sa stratégie systématique de la terre brûlée, pourtant très lourde de conséquence pour le petit peuple qui perd toutes ses ressources de subsistance. Il évite toujours l’affrontement direct avec les légions.
Jeu du chat et de la souris
Jules César va devoir mettre en avant toute sa science tactique et stratégique pour arriver à contrer son adversaire. Le jeu du chat et de la souris entre les deux hommes va se ponctuer par de sanglants face à face.
On retiendra notamment le siège par César de Cébanum – Orléans – et surtout Avaricum – Bourges – où Vercingétorix à voulu « fixer » les légions dans un siège long et épuisant. Sa tactique a raté. César et ses légions ont une science du siège sans égale à l’époque. Les romains prennent Avaricum au bout quelques semaines. Ils massacrent ses dizaines de milliers de défenseurs.
Malgré ce grave revers, la stratégie de Vercingétorix est en passe de réussir. En effet, les légions souffrent incontestablement d’un manque de ravitaillement et leurs alliés font défection les uns après les autres. Même les Eduens, anciens et traditionnels soutiens de Rome, finissent par basculer dans le camp du jeune chef gaulois. Dans le même temps, d’autres peuples comme les Parisii et les Sénons se révoltent, obligeant César à mobiliser son second, Labiénus, avec deux légions pour ramener l’ordre.
César, Vercingétorix, Gergovie…
Vercingétorix, poursuivi par César remonte alors la rive droite de l’Allier. Toujours fidèle à sa tactique, il va à nouveau tenter de «fixer» les légions et s’enferme dans l’oppidum de Gergovie – près de l’actuel Clermont-Ferrand. Cette fois, les choses vont bien tourner pour lui. César échoue dans ses manœuvres et son assaut contre l’oppidum tourne au massacre pour ses légionnaires. Le général romain parvient néanmoins à se replier en bon ordre vers le nord pour faire sa jonction avec Labiénus.
Fort de ce succès éclatant, Vercingétorix s’impose définitivement comme le chef suprême. Pour la première fois dans l’histoire, pratiquement tous les peuples de la gaule sont unifiés. De son côté, César a pu regrouper et réorganiser ses troupes. Elles forment désormais douze légions solides et expérimentées. Mais les hommes sont épuisés. Ils ont besoin de repos et de nourriture. César va donc tenter de gagner du temps. Il va essayer de rallier le sud de la Gaule pour faire souffler ses soldats.
César, Vercingétorix, Alésia…
Vercingétorix veut profiter de son succès à Gergovie. Il sait que César va couloir temporiser pour permettre à ses légions de se refaire une santé. Aussi est-il bien décidé à le poursuivre, pour ne pas le laisser s’échapper vers des terrains plus favorables pour lui, et à le harceler pour ne pas lui laisser le temps de se reprendre. Il envoie donc sa cavalerie couper la retraite des romains à quelques kilomètres d’Alésia et adresse des demandes à tous les peuples gaulois pour obtenir des renforts.
Mais Vercingétorix est trop confiant. Très indisciplinée, mal organisée et de fait mal dirigée, la cavalerie gauloise échoue. Au lieu de harceler les colonnes romaines, elle provoque un affrontement direct, perdant ainsi son avantage de la rapidité et de la mobilité au profit de la formidable cohésion des légionnaires en bataille rangée. Le choc tourne donc à l’avantage des romains, beaucoup plus structurés et forts de leur discipline légendaire.
Vercingétorix décide donc de changer de stratégie et de tenter de reproduire son succès de Gergovie. Son but est de coincer César entre le marteau et l’enclume… L’enclume, ce sera l’oppidum fortifié d’Alésia dans lequel il regroupe toutes ses forces, soit environ 80 000 guerriers. Le marteau, ce sera l’armée de renfort qu’il attend et qui regroupe plus de 250 000 cavaliers et fantassins venus des quatre coins de Gaule.
Le siège d’Alésia…
Mais César est un homme avisé et un stratège hors-pair. Il ne va pas commettre à nouveau l’erreur de Gergovie où il a tenté un assaut frontal. Devant Alésia, il va organiser un siège hors du commun. Il ordonne à ses légions de construire une double fortification tout autour de l’oppidum, renforcée de fossés, de pièges, de pieux acérés et de douves. Les romains empêchent ainsi les Gaulois de se ravitailler. De plus, ils se prémunissent contre les éventuelles attaques de l’armée de secours venant de l’extérieur. César déploie ainsi ses légions et attend. Patient et déterminé, il est décidé coûte que coûte à affamer les gaulois et à en finir une bonne fois pour toute.
Confiant au début du siège, Vercingétorix va vite déchanter. L’armée de secours tarde à arriver, les différents chefs gaulois se querellant sans cesse entre eux quant à la tactique à adopter et pour savoir qui d’entre eux mènera la bataille. Lorsque les renforts gaulois se présente devant les fortifications romaines d’Alésia, César comprend qu’il risque d’être submergé par le nombre. Les gaulois tentent plusieurs attaques violentes contre les fortifications romaines. Mais elles sont encore et toujours mal préparées, indisciplinées et surtout très mal coordonnées avec les assiégés. Les légionnaires, bien que tout prêt de céder, parviennent à tenir bon. Le siège n’est pas brisé. Après une quarantaine de jours de siège, la situation des gaulois est désespérée.
La reddition de Vercingétorix
Le 27 septembre 52 av. J-C, Vercingétorix réunit ses guerriers et propose de s’offrir aux Romains en sacrifice contre la promesse de leurs vies sauves. Une ambassade est envoyée à César qui reste inflexible. Il exige la reddition immédiate et sans condition de l’oppidum. Vercingétorix quitte alors la forteresse. Il descend lentement la colline à cheval, en évitant de regarder les femmes, les vieillards et les enfants qu’il avait rejetés de l’oppidum des jours plus tôt comme autant de bouches inutiles à nourrir.
Il évite les pièges des romains et les innombrables cadavres des gaulois et se présente à l’entrée du camp fortifié romain. Là, il est sèchement désarçonné par les légionnaires. Ils lui confisquent brutalement ses armes, le ligotent sans ménagement et l’agenouillent de force devant César. Ses armes sont ensuite jetées en tas au pied du général romain.
Après la reddition de leur chef, les 53 000 survivants d’Alésia sortent de la citadelle. Ils sont affamés, malades et sans aucun espoir. Il sont désarmés et emmenés en captivité. La plupart mourront rapidement de malnutrition et de mauvais traitement. Les survivants seront réduits en esclavage.
L’alliance gauloise tiendra encore un peu. Les guerriers survivants de l’armée de secours d’Alésia résisteront encore quelques mois avant d’être soumis à leur tour. Rome est impitoyable. Elle ne transige pas. Vercingétorix sera emmené en captivité à Rome dans la prison Mamertine. Il sera exhibé comme un trophée lors du triomphe de César. Puis purement et simplement étranglé, probablement en août 46 av. J-C.
Naissance de la légende
L’historiographie française de la fin du XIXème siècle, soucieuse d’ancrer la République dans des racines historiques incontestables, s’affranchira de souci de vérité historique en faisant de Vercingétorix un véritable héros romantique «français» avant l’heure, premier chef de guerre de «nos ancêtres les gaulois» ayant cherché à sauver le territoire «national» de l’envahisseur…
Si l’étude documentaire et archéologique moderne a mis fin au mythe depuis longtemps, elle a en fait rendu à Vercingétorix un visage beaucoup plus humain : un jeune homme de caractère, un chef de guerre habile tacticien et un politique charismatique et ambitieux. Son rêve de voir la Gaule unifiée, pacifiée et débarrassée du joug de Rome s’est brisée sur les pilum romains un jour de l’automne de 52 av. J-C, dans la défaite et l’humiliation d’Alésia…
Post-scriptum :
Le nom Vercingétorix :
Historiens et auteurs ont beaucoup épilogué sur l’origine du nom de Vercingétorix (prononcer «ouèrkinguétorix»). On a longtemps cru que c’était en fait un titre désignant le «chef» ou le «roi» en langue arverne. On sait aujourd’hui que c’était bien un nom propre, donné au futur adversaire de César dans sa prime enfance par un druide lors d’une cérémonie traditionnelle d’attribution du nom. Sa signification serait «chef [suprême] des guerriers [à pieds]».
Mais où se trouve Alésia ?
Les archéologues situent aujourd’hui l’oppidum de Gergovie en Auvergne, près de Clermond-Ferrand, sur le plateau de Merdogne. En revanche, la localisation d’Alésia est sujet à des querelles d’historiens et d’archéologues depuis le milieu du XIXème… Une querelle caricaturée avec humour, sur fond du légendaire chauvinisme français, par Uderzo et Goscinny dans l’album d’Astérix «Le bouclier arverne». Un article à venir sur Historyweb détaillera bientôt cette querelle… A suivre, donc…
Twenty One