Suite et fin du récit de l’affaire du collier de la reine. Le premier épisode du récit est à découvrir ICI. le deuxième épisode est à lire ICI
L’affaire du collier de la reine : l’escroquerie…
La passion de la Reine pour les bijoux est largement connue de tous. Et même très largement exagérée par les ragots et les rumeurs qui se murmurent partout à Versailles et dans Paris. Sur ce postulat facile, Jeanne de La Motte décide d’entreprendre maintenant le coup le plus fabuleux de sa vie. Nous sommes alors à la fin de l’année 1784…
Comme tout le monde, elle a beaucoup entendu parler du fameux collier commandé plus de 10 ans auparavant par le feu roi Louis XV pour Madame du Barry et refusé plusieurs fois par Marie-Antoinette. On ne change pas une recette à succès : elle décide de continuer la comédie qui a si bien abusé le cardinal de Rohan. Se faisant donc toujours passer pour une amie très intime de la reine, elle rencontre nos deux joailliers, messieurs Boehmer et Bassange.
Les bijoutiers séduits…
Les compères sont évidemment bien pressés de vendre. Car ils ont contracté de lourdes dettes pour fabriquer le fameux bijou. Elles courent toujours sur leurs têtes et la réputation de leur maison. La « comtesse » leur assure qu’elle va tout faire pour convaincre la reine d’acheter ce si magnifique objet. Le prix ? Peu importe le prix ! Comment ? 1 600 000 livres ? Mais voyons, ce n’est pas un problème messieurs… Il suffira juste de passer par un intermédiaire pour assurer à la reine toute la discrétion qui s’impose…
1 600 000 livres… Une véritable fortune. Déjà à l’époque, c’est le prix de trois luxueux châteaux avec au moins 500 ha de terre autour…
De Rohan enfumé…
C’est ainsi qu’en janvier 1785, le Cardinal de Rohan, le pigeon, reçoit une nouvelle lettre signée « Marie-Antoinette de France » dans laquelle la « reine » s’ouvre de son désir ardent pour le collier mais explique qu’elle ne peut acheter le bijou au grand jour de la cour. « Elle » demande au Cardinal de jouer l’intermédiaire discret et de se porter caution, lui promettant de s’engager par contrat à le rembourser en quatre versements d’un montant de 400 000 livres chacun.
Pour parfaire l’escroquerie, Cagliostro achève d’enfumer l’esprit du cardinal. Dans une séance de spiritisme soigneusement mise en scène, un enfant avec des dons de médium « certains » délivre au cardinal médusé un oracle lui promettant un destin fabuleux pour peu qu’il négocie habilement cette affaire. Se rêvant déjà premier des ministres du roi, de Rohan signe, le 1er février 1785, un document officiel des deux joailliers que lui présente sa chère « comtesse » l’engageant comme caution de la reine sur l’achat du collier pour un montant de 1 600 000 livres.
Dans la marge, Rétaux de Villette, le faussaire, a même ajouté une signature d’accord de la « reine ». La première échéance de paiement est fixée au 1er août 1785. Les deux joailliers reçoivent le papier et livrent le collier au cardinal. Le soir même, celui-ci l’apporte en personne à la « comtesse ». Devant lui, elle le remet à un « valet de la reine » qui n’est autre que Rétaux de Villette, encore lui…
Des escrocs bien malhabiles…
Enchantés par la conclusion inespérée de l’affaire, les deux joailliers offrent de splendides bijoux en cadeau de remerciement à leur chère intermédiaire, Madame de La Motte… Pendant ce temps, notre bande d’escrocs a commencé bien maladroitement à dépecer le collier pour mieux revendre les pierres desserties qu’ils se partagent rapidement. Mais bien-sûr, ils ont oublié de compter avec l’exceptionnelle qualité des diamants volés. Rétaux de Villette a par exemple beaucoup de mal à négocier les siens. Pressé par le temps, il demande un prix très inférieur à leur valeur réelle, ce qui attire les soupçons des diamantaires avec qui il traite.
Convaincus d’avoir affaire à un voleur, ils le dénoncent. Mais il parvient in extremis à partir pour Bruxelles pour finalement écouler, mais plus qu’au rabais, sa précieuse marchandise. De son côté, le « comte » Nicolas de La Motte part chez l’ennemi juré de la France, en Angleterre. Il se rend auprès de deux bijoutiers londoniens réputés. Eux aussi flairent un mauvais coup. Mais à ce moment là, l’escroquerie n’est pas connue et, de fait, aucun vol de bijoux d’une telle valeur n’a été signalé. Et les anglais achètent les pierres, mais à un prix là encore très largement en deçà de leur valeur réel.
L’escroquerie sur le point d’être révélée…
En France, les deux joailliers et le cardinal commencent à s’étonner d’un fait très étrange : à Versailles, la reine ne porte pas le collier… Evidemment, la « comtesse » s’empresse de les rassurer pour gagner du temps : la reine attend une grande occasion digne du bijou. Bien-sûr, la vente doit rester absolument secrète…
Juillet 1785 arrive. La première échéance approchant, Jeanne de La Motte veut encore gagner du temps. Elle annonce au cardinal que la reine a des difficultés pour le rembourser mais souhaite évidemment s’acquitter de sa dette. « Elle » demande qu’on lui trouve des prêteurs dignes de confiance. Toujours aussi incroyablement naïf, de Rohan ne s’inquiète de rien. Et tout aurait pu tranquillement continuer ainsi pour nos escrocs.
Seulement voila, l’un de nos joailliers, en l’occurrence Boehmer, tient à couvrir ses arrières. Profitant de ses entrées à la cour, il se rend chez la première femme de chambre de la reine, madame Campan, pour s’assurer que le premier versement lui sera bien remis dans les temps. Complètement interloquée, madame Campan en parle aussitôt à Marie-Antoinette qui, bien-sûr, ne comprend rien à l’affaire et charge alors le baron de Breteuil, ministre de la Maison du Roi, de se renseigner plus avant. Breteuil enquête et découvre rapidement l’escroquerie dans laquelle l’un de ses plus farouches ennemis – le cardinal de Rohan est mouillé jusqu’au coup…
Le scandale…
Entretemps, la « comtesse » de La Motte a réussi à amasser près de 300 000 livres de la vente de pierres. Un argent qu’elle a en grande partie transformé en investissant dans l’immobilier. Mais elle sent que le vent commence à tourner. Pour continuer à embrouiller son monde, elle donne à de Rohan un versement symbolique de la part de la « reine » d’un montant de 35 000 livres. Dans le même temps, elle informe les deux joailliers que la signature de la « reine » est sûrement un faux…
Elle espère que les deux hommes vont se retourner sur de Rohan puisque celui-ci, par le document qu’il a signé, est finalement leur vrai client et débiteur. Jeanne espère que la peur du scandale forcera le cardinal à payer intégralement la somme due sans faire de bruit. Et toujours dans le même temps, la bande continue d’essayer d’écouler les pierres et parvient, dans des conditions restées assez floues, à escroquer quelques dizaines de milliers de livres supplémentaires à d’autres bijoutiers trop crédules ou trop véreux.
Le baron de Breteuil tient l’affaire de sa vie. Il va pouvoir tailler en pièce de Rohan qu’il déteste depuis bien longtemps. Il informe l’entourage du roi qui comprend immédiatement l’ampleur de l’affaire. Le 14 août, Louis XVI apprend toute l’escroquerie. Le 15 août, alors que de Rohan doit célébrer la messe de l’Assomption dans la chapelle de Versailles, il reçoit une convocation du roi. Alors qu’il se rend dans les appartements royaux, les gardes de la galerie des glaces l’arrêtent, en plein milieu des courtisans, comme un vulgaire voleur.
De Rohan sommé de s’expliquer…
Sommé de s’expliquer, le prélat pigeonné ne tarde pas à comprendre l’escroquerie dans laquelle de La Motte l’a fait tomber. Il tente de se justifier et envoie chercher les fameuses lettres signées de la main de la reine ». En découvrant les faux pourtant grossiers, le roi s’emporte : « Comment un prince de la maison de Rohan, grand-aumônier de France, a-t-il pu croire un instant à des lettres signées Marie-Antoinette de France ? ». Le Cardinal tente encore de s’expliquer. Mais le roi persiste : « Mon cousin, je vous préviens que vous allez être arrêté ! »
De Rohan gémit, fond en larmes et supplie qu’on lui épargne l’humiliation d’une mise au cachot. Tout y passe, sa réputation, la dignité de l’Eglise et même le souvenir de sa cousine Madame de Marsan qui a élevé Louis XVI. Rien à faire. Le roi reste inflexible : « Je fais ce que je dois, et comme roi, et comme mari. Sortez. »
On emprisonne sur l’heure De Rohan à la Bastille. Grave erreur du roi. Il avait pourtant toutes les cartes en main pour étouffer le scandale dans l’oeuf. Car avant la fin de la journée, la nouvelle a déjà fait le tour la cour qui connait tout de l’affaire. La boîte de Pandore est ouverte et rien n’arrêtera plus la propagation du récit graveleux de l’incroyable arnaque. La « comtesse » de La Motte est rapidement arrêtée. Son mari a déjà filé en Angleterre et son amant, Rétaux de Villette, en Suisse. Cagliostro est lui aussi interpelé. Fin octobre, on met également la main sur Nicoles Leguay, à Bruxelles où, enceinte, elle s’est expatriée avec son amant.
Le procès…
Magnanime, ou plutôt une fois de plus très maladroit, Louis XVI laisser le choix à de Rohan. Soit le cardinal s’en remet discrètement à un jugement décidé par le seul roi, dans le huis clos du cabinet de Versailles. Ou alors il est traduit en public devant le parlement de Paris. Louis XVI compte bien-sûr que le Cardinal choisira la discrétion.Raté. De Rohan préfère tenter sa chance avec le parlement qu’il sait toujours en opposition à l’autorité du roi.
Le procès de l’affaire du collier débute le 22 mai 1786, devant pas moins de 64 magistrats. Attiré par l’odeur du scandale royal, le public afflue en masse et tous les journaux et pamphlets de Paris s’apprêtent à donner le compte rendu précis des débats.
Le 31 mai 1786, les juges rendent leur verdict. Malgré un réquisitoire particulièrement à charge de la part du procureur, le cardinal est acquitté des crimes d’escroquerie et de lèse-majesté envers la reine. La soi-disant comtesse de La Motte est condamnée à la prison à perpétuité. Avant d’être enfermée, elle est fouettée au sang et marquée au fer rouge de deux « V » – pour « voleuse ». Son mari le « comte » est condamné par contumace aux galères à perpétuité. Rétaux de Villette est définitivement banni du royaume. Nicole Leguay a réussi à émouvoir les juges avec son tout jeune bébé dans les bras. Elle est mise hors de cause. Cagliostro est lui aussi embastillé.
L’épilogue…
Pendant toute la durée du procès, la « comtesse » de La Motte niera crânement toute participation à l’escroquerie. Elle reconnaîtra uniquement une liaison avec de Rohan. Plus tard, elle parviendra à s’évader de sa prison de la Salpêtrière. On ne découvrira ses complices. Elle avait du grassement les soudoyer. Réfugiée à Londres, elle écrira sa version de l’affaire. En allant jusqu’à inventer une liaison plus qu’intime entre elle et la reine. Jusqu’au bout, elle impliquera la reine dans toute l’affaire et même dans sa propre évasion.
Le faussaire Rétaux de Villette finira sa vie à Venise où il écrira lui aussi son récit personnel de l’affaire.
Le « comte » de La Motte, on l’a vu, s’est donc refugié à Londres. En prenant bien soin d’emporter et de négocier les derniers diamants. Il disparait ensuite totalement de l’histoire. Peut-être le seul vrai bénéficiaire de l’affaire du collier de la reine.
Cagliostro ne restera pas enfermé très longtemps. Il sera expulsé du royaume dans le courant de l’année 1786. L’affaire du collier de reine aura mis fin à sa lucrative carrière d’escroc ésotérique auprès de la haute société française. En 1791, il sera arrêté en Italie par la Sainte Inquisition pour « pratique de la Franc-maçonnerie ». Il sera condamné à la prison à perpétuité et mourra dans sa cellule en 1795.
L’histoire ne dit pas ce qu’il est advenu de jeune Nicoles Leguay. On ne peut qu’espérer qu’elle ait eu une vie plus vertueuse et plus heureuse.
Une dette sur plusieurs générations…
Le Cardinal de Rohan sera donc ressorti totalement blanchi et libre de cette affaire du collier de la reine. Libre de corps, mais pas de son engagement comme caution lors de l’achat du collier. Il devra donc bien payer les 1 600 000 livres à messieurs les joailliers Boehmer et Bassange. Il s’acquittera avec difficulté de la plus grande partie de sa dette en vendant des biens et des terres. Mais ce sont ses descendants qui finiront de payer les derniers reliquats d’intérêts aux descendants des joailliers… à la fin du XIXème siècle. Député du Clergé aux Etats Généraux, il sera brièvement membre de la Constituante avant de devoir s’exiler. Il mourra tranquillement en 1803 dans les territoires allemands.
Le scandale des scandales…
Malgré une conclusion relativement rapide du procès, l’affaire du collier de la reine restera un scandale énorme et absolument retentissant, d’un ampleur que l’on aurait du mal à imaginer aujourd’hui.
Déjà très lourdement entachée, la réputation de Marie-Antoinette, pourtant complètement innocente à l’affaire, va être gravement compromise. À la cour comme dans l’opinion publique. En acquittant le cardinal de Rohan de toute faute, les juges n’ont pas cru devoir le condamner pour avoir porté crédit à des billets doux de la reine. Ceux qui lui donnait un rendez-vous en secret, la nuit, en cachette du roi, dans un bosquet, par l’intermédiaire d’une femme peu recommandable. Sous entendu évident que la reine, telle qu’on la connait en sa réputation, aurait très bien pu se commettre dans de telles frasques. Une humiliation suprême pour Marie-Antoinette.
L’image de la reine restera donc salie à jamais par l’ampleur du scandale et de l’incroyable vague de pamphlets, de chansons grivoises, de calomnies, de caricatures et de rumeurs qu’il va engendrer. Déjà largement accusée de creuser le déficit du budget du pays par des dépenses aussi futiles qu’excessives, Marie-Antoinette va subir un torrent d’insultes et de calomnies, jusqu’aux plus crues. Pour les caricaturistes et le peuple, la chose est sûre : « L’Autrichienne » offrait son cul au cardinal pour des diamants hors de prix.
Plus indirectement, mais tout aussi sûrement, le discrédit jeté par l’affaire sur la cour de Versailles aura des répercussions populaires qui rencontreront un très large écho, lors de la révolution, dans les sentiments haineux du peuple à l’encontre de la noblesse en général et de la famille royale en particulier.
Même lors de son procès qui la conduira droit à l’échafaud révolutionnaire, Marie-Antoinette se verra reprocher « l’affaire du collier de la reine ».